Jean Pierre Sicard « C’est en échangeant que l’on progresse»
Docteur en sciences économiques, Jean-Pierre Sicard (48 ans), après plusieurs postes au sein du secrétariat général de la Caisse des dépôts, notamment dans le domaine des ressources humaines et des séminaires pour dirigeants, a créé la fonction de responsable de la veille stratégique auprès du Directeur de la Stratégie et des Finances du Groupe, qu’il a occupée de 1998 à 2001, avant le lancement de Novethic dans le courant de l’année 2001.
Auparavant, Jean-Pierre Sicard a fondé et dirigé une société de production audiovisuelle. Il a également été consultant, directeur de département et membre du comité de direction du Bipe, un cabinet de conseil et d’études économiques.
Novéthic est une filiale de la Caisse des dépôts et consignations. C’est un centre de ressources, d’information et d’expertise sur la responsabilité sociale et environnementale des entreprises et l’investissement socialement responsable. Son site, www.novethic.fr est une source d’information de référence pour les acteurs de l’économie responsable.
Les missions dont s’est investie Novéthic sont d’ observer et analyser les initiatives et les enjeux en matière de responsabilité sociétale des entreprises et d’investissement socialement responsable, d’Informer et proposer des outils experts aux professionnels de l’entreprise, de la finance, des collectivités locales ou des ONG intéressés ou déjà engagés dans une démarche de responsabilité sociétale et/ou d’investissement socialement responsable, d’animer les échanges entre les différents acteurs : entreprises, investisseurs, parties prenantes et enfin d’apporter une expertise au groupe Caisse des dépôts dans le cadre de son propre engagement en faveur du développement durable.
Communication Sans Frontières®
Pouvez-vous nous rappeler les idées déterminantes qui ont présidé à la naissance du développement
durable ?
Le principe du développement durable a représenté une réponse aux inquiétudes qui sont nées ces dernières années face aux profonds déséquilibres sociaux et environnementaux provoqués par le développement économique.
C’est une véritable « prise de conscience » des grands décideurs économiques et politiques afin de stopper ou tout du moins ralentir la détérioration de la planète.
Aujourd’hui, ils adoptent une démarche visant à assurer un développement économique constant en prenant compte de ces équilibres sociaux et de l’environnement.
Ces enjeux ne posaient pas de problème dans une approche à court terme, mais ne pouvaient absolument pas continuer en ce sens à long terme, la pauvreté et les déséquilibres sociaux entraînant eux-même une dégradation environnementale.
CSF
Où en sommes nous dans notre pays en terme de développement durable comparativement aux autres pays européens ?
JPS
Nous en sommes au stade de la prise de conscience, ce qui signifie que si toutes les solutions n’ont pas encore été apportées, l’Europe du Nord, principalement, commence à mettre des actions en place afin d’y répondre concrètement et a aujourd’hui une influence très importante.
Elle est sans doute la plus avancée sur ces questions-là. si l’on compare notamment à l’Amérique du Nord où l’approche est très différente (Le monde politique actuel n’étant pas très sensible à cette dimension, notamment environnementale).
Les pays en voie de développement ont quant à eux pour l’instant d’autres enjeux et objectifs prioritaires en terme de développement économique, santé.
CSF
Pouvez-vous nous dire brièvement où se situe par ailleurs notre pays en terme de responsabilité sociale et environnementale des entreprises ?
JPS
Pour présenter ce concept simplement, je dirais que la RSE est la façon dont la société demande aux entreprises de prendre en compte ces éléments de développement durable. C’est un moyen de répondre à ces problématiques en précisant la responsabilité des entreprises envers tout ce sur quoi elles ont un impact.
Cette responsabilité sera donc principalement mise en perspective selon les secteurs d’activité des entreprises (Par exemple, le secteur de la pétrochimie devra gérer son impact sur l’environnement, le textile son impact social / les droits de l’homme au travail.).
Il est ainsi demandé à l’entreprise de s’interroger sur tous les acteurs se situant derrière ces impacts : nous pourrions dire qu’il s’agit pour elle de tisser des liens avec toutes ses parties prenantes.
CSF
Nous assistons sporadiquement à des rapprochements entre entreprises et associations qui peuvent paraître à certains incongrus tels que par exemple Shell et Greenpeace, Canon et WWF. Comment analysez-vous ces collaborations ?
JPS
En droite ligne avec ce que nous venons de préciser, l’entreprise concernée doit et souhaite être à l’écoute d’un certain nombre de parties prenantes, ce qui l’amène donc à s’associer avec un partenaire qui lui posera un certain nombre d’exigences. Cette relation parfois conflictuelle est plutôt saine, car c’est en échangeant que l’on progresse.
Cette discussion, ce dialogue entre une entreprise et une ONG permet que ces causes soient au minimum entendues. La logique démocratique est toujours constructive.
CSF
Comment concevez-vous le rôle des médias sur ces sujets ?
JPS
Les médias sont une véritable caisse de résonance. Leur rôle est très important.
Ce sont eux qui tissent, en grande partie, le lien entre les différentes facettes du sujet (Consommateurs, décideurs, entreprises.).
Leur écho et leur diffusion étant larges, ils permettent de faire sentir la pression aux entreprises soucieuses de leur image globale et donc de faire avancer les choses.
CSF
Comment les entreprises de communication, les médias pourraient, eux-mêmes, s’engager dans la voie du développement durable en tant qu’entreprises ?
JPS
Il faut bien appréhender leur engagement sur deux plans :
Tout d’abord, en tant qu’entreprises au sens strict, il leur est possible d’analyser leurs propres impacts environnementaux et sociaux (Les clauses avec leurs sous-traitants, l’utilisation de papier en édition, les questions de déontologie.).
Ensuite, ils s’engagent par leur relais et leur traitement de l’information : Si leur rôle est bien de transmettre une information objective, ils se doivent aussi d’avoir une fonction de formation et de sensibilisation. Ils doivent également posséder la compétence nécessaire au traitement de cette information et donner une voix à toutes les parties.
Pour être plus concret, l’utilisation des 4×4 peut être un bon exemple puisque l’analyse de ce sujet touche tout autant à la liberté du consommateur qu’à la protection de l’environnement.
Les médias se doivent d’apporter une grille de lecture de la société d’aujourd’hui.
CSF
Pensez-vous que la quadrature rentabilité, équité, citoyenneté, responsabilité puisse un jour devenir un cercle vertueux ?
JPS
La question ne se pose pas vraiment en ce sens. c’est la qualité du management qui doit provoquer ce cercle vertueux (par l’attitude volontariste de l’entreprise, entre autres). Il est de l’intérêt bien compris des acteurs économiques que de favoriser ce système : Avec le temps et la pression des ONG et des politiques, les entreprises en avance seront gagnantes.
CSF
Certains s’interrogent sur l’impossibilité de rendre les financiers et les banquiers socialement responsables. Par exemple, les fonds éthiques ne seraient que trop artificiels et superficiels et la micro finance le seul credo d’organismes à but non lucratif. Qu’en pensez-vous ?
JPS
L’investissement socialement responsable est une vision plutôt positive de ce courant, à condition d’être suffisamment transparent sur ces pratiques. C’est un moyen de pousser les entreprises à progresser dans leur impact environnemental, via des investissements.
CSF
De nombreuses entreprises se sont mobilisées suite à « la catastrophe du siècle » en Asie. Pensez-vous qu’il s’agisse d’une nouvelle forme de RSE ou tout simplement une forme de récupération médiatique ?
JPS
Il faut aborder ce sujet de deux angles de vue et distinguer les entreprises concernées sur place des entreprises uniquement donatrices.
Les premières, telles Accor ou Lafarge, ont eue une réaction et une action de RSE envers leurs salariés, clients etc. faisant partie d’une logique globale.
Les deuxièmes sont intervenues sur le champ plus classique du mécénat.
Cela n’est qu’une contribution non directement liée à leur activité et ne les dédouane pas d’autres niveaux de responsabilité.
CSF
Qu’est ce qui vous révolte et vous satisfait le plus aujourd’hui ?
JPS
Plutôt que de parler de révolte ou de satisfaction, je préfèrerais émettre une alerte concernant les très grands enjeux du changement climatique. cet aspect résume à lui seul une grande partie des enjeux environnementaux.
Les progrès sont en cours, et c’est bien, mais nous sommes loin du but !
Tous les moyens ne sont pas encore là…
Propos recueillis par Albane Tresse Communication Sans Frontières® 22 mars 2005.
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