Thierry Mauricet « La rapidité n’est pas forcément gage de véracité et d’objectivité »
Directeur général de Première Urgence – Aide Médicale Internationale (PU-AMI).
Thierry Mauricet a suivi une formation en droit à l’Université Paris X Nanterre, qu’il a complété par des études de commerce à l’Institut Européen des Affaires. Après avoir exercé le métier de publicitaire pendant sept ans, il prend l’initiative en juin 1992 de fonder – avec quelques amis – l’association Première Urgence.
Sa première mission sera de venir en aide aux populations assiégées à Sarajevo, en Bosnie-Herzégovine. En 1994, Thierry Mauricet devient Directeur général de l’association, une fonction qu’il conservera jusqu’en avril 2011, date de la fusion entre Première Urgence et Aide Médicale Internationale.
Thierry Mauricet est aujourd’hui Directeur Général de l’ONG issue de la fusion de ces deux associations : Première Urgence – Aide Médicale Internationale (PU-AMI).
PU-AMI est une ONG de solidarité internationale, à but non lucratif, apolitique et laïque. Ses équipes se mobilisent au quotidien pour couvrir les besoins fondamentaux des victimes de crises humanitaires. PU-AMI soutient actuellement près de 3 millions de personnes dans une vingtaine de pays, en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient, dans le Sud-Caucase, mais aussi en France. Ses équipes mènent en moyenne 250 projets par an, dans les domaines suivants : sécurité alimentaire, santé, nutrition, construction et réhabilitation, relance économique, et eau, assainissement et hygiène.
Communication Sans Frontières :
Première Urgence et Aide Médicale Internationale se sont rapprochés en 2011. Pouvez-vous faire un bilan de cette fusion?
Thierry Mauricet :
Nous fêterons effectivement dans quelques semaines, le troisième anniversaire de cette fusion et la création de Première Urgence – Aide Médicale Internationale. Nous avons été parmi les premiers à recourir à la fusion-création, un procédé assez répandu dans le monde de l’entreprise, mais très rare dans le paysage associatif. Ce qui nous a animés avant tout, c’est l’envie de mettre en œuvre des projets complémentaires, d’associer des activités médicales à des activités non médicales pour pouvoir couvrir l’ensemble des besoins fondamentaux des populations victimes de crises humanitaires. Nous avons donc mis en commun nos compétences, nos projets, nos actifs au sein d’une même structure : PU-AMI.
Trois ans après, les objectifs que nous nous étions fixés au moment des premiers rapprochements ont largement été atteints, et parfois même dépassés. Sur le terrain, l’approche intégrée est désormais encouragée et privilégiée. Nos coûts de fonctionnement ont été optimisés, et notre voix est désormais davantage entendue par nos bailleurs et partenaires. L’un des principaux enjeux de cette fusion résidait également dans notre capacité à augmenter le niveau de qualité et d’activité. Ils sont tous deux en évolution constante, preuve s’il en est de la réussite de cette fusion.
CSF :
Quelle était votre stratégie de communication en France et à l’international notamment dans vos pays d’intervention sur ce rapprochement?
TM :
Historiquement, Première Urgence et Aide Médicale Internationale n’ont jamais vraiment cherché à développer leur communication. Le budget qui y était consacré était assez minime. Les deux associations étaient connues (et reconnues) dans le « petit monde » de l’humanitaire, mais pas identifiées comme telles par le grand public. La nouvelle structure, PU-AMI, a hérité de la bonne réputation dont bénéficiait ses doyennes, mais souffre elle aussi du même déficit de notoriété. Le fait d’avoir accolé les deux noms a permis, dans un premier temps, de servir de repère. Une étape somme toute nécessaire, à l’image de la création d’un nouveau logo et d’une nouvelle charte graphique, lancés fin 2011.
En France, depuis la fusion, la communication externe constitue l’un de nos enjeux prioritaires. Nos bailleurs institutionnels sont eux aussi confrontés à la crise, et nous devons être en mesure d’anticiper toute baisse de financement. Pour pouvoir continuer à intervenir rapidement auprès des populations en détresse, nous n’avons pas d’autre solution que de faire appel à la générosité du public. Mais pour développer notre collecte, nous devons au préalable nous faire connaître et faire valoir notre expérience. Cela passe notamment par la définition d’un nouveau positionnement, actuellement en cours, et l’identification de nouveaux champs que nous pourrions investir, comme celui de la photo par exemple.
Sur le terrain, la fusion des missions s’est faite très rapidement, mais il a fallu faire preuve de pédagogie et expliquer au personnel national – à l’origine engagé auprès d’une seule des deux structures – qu’il fallait désormais penser PU-AMI. Le même effort a été fourni auprès des bailleurs, pour que la nouvelle ONG puisse bénéficier de l’ancienneté des deux associations et de la confiance qui leur était accordée. Dans certains pays cependant, nos missions – en raison de contraintes administratives – sont toujours enregistrées au nom de l’une ou de l’autre des anciennes entités. C’est le cas par exemple en Syrie, où nos équipes officient sous l’étendard Première Urgence. A l’heure actuelle, avec la crise, demander l’enregistrement au nom de PU-AMI pourrait nous obliger à quitter le pays.
CSF :
Comment analysez-vous le contexte médiatique dans lequel les ONG évoluent désormais comparativement à celui de votre création en juin 1992 pour venir en aide aux populations assiégées dans Sarajevo en Bosnie-Herzégovine?
TM :
Nous pourrions même remonter jusqu’en 1979, date de la première mission d’Aide Médicale Internationale en Afghanistan. Il y a une vingtaine d’années, le contexte médiatique était très différent de celui que nous connaissons actuellement. La guerre a en effet été largement médiatisée en France. Je me souviens qu’au moment de la création de Première Urgence, la chaîne de télévision M6 avait même consacré plusieurs reportages et émissions aux interventions que nous menions en Bosnie.
De nos jours, l’actualité est aussi portée par le journalisme citoyen grâce à la révolution des nouveaux media. En effet, les réseaux sociaux sont de formidables vecteurs d’informations, quasi en temps réel. Cependant, la rapidité n’est pas forcément gage de véracité et d’objectivité. Il faut conserver son sens critique, prendre un peu de recul, tenter de recouper les informations avant de se forger une opinion.
Le contexte médiatique a peut-être changé, mais pas la façon de procéder. De manière générale, les media continuent de faire appel aux ONG qui vont « là où les autres ne vont pas » lorsqu’ils ont besoin d’obtenir davantage d’informations sur une crise, des données chiffrées ou bien d’être mis en relation avec des personnes qu’ils pourraient interviewer. Nous ne sommes pas dupes, mais nous y voyons nous aussi notre intérêt.
CSF :
Quel rôle jouent les media sociaux – Facebook, Twitter etc, dans votre travail humanitaire ? Peuvent-ils être un danger pour l’action humanitaire sur le terrain d’utiliser ces moyens de communication ?
TM :
Les media sociaux sont une composante de notre société actuelle. Aujourd’hui, il est difficile de faire l’impasse sur ce type d’outils, qui nous permettent de communiquer à moindre frais sur nos actions et de sensibiliser davantage. Chez Première Urgence – Aide Médicale Internationale, nous les considérons comme des atouts et nous encourageons tous ceux qui travaillent à nos côtés ou nous soutiennent à les utiliser, afin de créer davantage de lien. Les réseaux sociaux nous permettent de présenter nos projets et de provoquer un véritable engouement pour nos actions. D’être plus réactifs aussi, en nous permettant de prendre connaissance des actualités en temps réel et de procéder ainsi à une veille informationnelle. Nous explorons attentivement toutes les possibilités qu’ils nous offrent, notamment en matière de recrutement et de collecte. C’est d’ailleurs deux aspects que nous comptons développer dans un proche avenir.
Les avantages sont nombreux donc, mais il existe aussi un réel danger : en se rendant plus visibles et en interagissant plus facilement avec notre audience, nous nous exposons en effet à d’éventuelles critiques et courons le risque d’écorner l’image de la structure. D’où l’importance d’être en capacité de répondre aux échanges que nous avons suscités.
CSF :
Comment garantir votre visibilité dans une concurrence médiatique inter ONG ?
TM :
Peut-on vraiment parler de « concurrence » alors que ce qui guide nos actions et ce qui nous anime est de secourir les populations victimes de conflits ou de catastrophes naturelles ? A mon sens, ce terme de « concurrence » ne reflète pas vraiment la réalité. Il est clair qu’il faut pouvoir se démarquer des autres pour pouvoir assurer la pérennité de l’association, mais pas à n’importe quel prix. D’autant plus que nous sommes tous, à notre façon, complémentaires ! Nous signons fréquemment des communiqués de presse communs afin d’attirer l’attention des media sur des points particuliers, comme la difficulté d’accès aux populations en Syrie ou le manque de financements en Centrafrique. Le fait qu’ils soient signés par plusieurs ONG reconnues apporte plus de poids à ces initiatives. Pour garantir la visibilité d’une association, il faut savoir se rendre accessible à tous. Nous devons être proactif, saisir chaque opportunité, chaque tribune qui nous est offerte pour communiquer. Et surtout, nous montrer innovant et investir de nouveaux domaines. Nous l’avons fait dernièrement en proposant à ceux qui nous soutiennent une nouvelle façon de s’engager à nos côtés : participer à des défis solidaires et sportifs, comme le Semi-Marathon de Paris, et courir pour la bonne cause. Cette opération nous permet de toucher un plus large public, de nous assurer plus de visibilité, mais aussi de collecter davantage de fonds.
CSF :
Comment gérez-vous votre communication avec les parties prenantes sur le terrain? Quelles sont les plus grands obstacles que vous rencontrez ?
TM :
Notre communication s’adapte à chaque terrain et à chaque contexte. Nous sommes actuellement présents dans 19 pays, principalement en Afrique, en Asie et au Moyen-Orient. Dans la plupart d’entre eux, nous pouvons librement parler de nos projets. Mais ce n’est pas le cas par exemple en Corée du Nord, où chaque mot doit être pesé et mesuré. La moindre « entorse » pourrait nous valoir d’être expulsés du pays, voire même mettre en danger la sécurité de nos équipes sur place. C’est un risque que nous ne voulons pas prendre.
Pour pouvoir continuer à intervenir, nous devons parfois accepter de faire preuve de discrétion. C’est le cas en Afghanistan, où nos campagnes de vaccination sont souvent mal perçues, et en Syrie, où nous sommes pourtant, à l’heure actuelle, l’un des principaux acteurs de l’aide humanitaire sur le terrain. Mais nous communiquons assez peu sur nos projets, car nous ne voulons pas courir le risque de ne plus avoir accès aux populations. Pour pouvoir malgré tout en parler, nous privilégions aujourd’hui l’approche régionale, ce qui nous permet de dépasser cette contrainte et d’aborder le sujet sous un autre angle. Pour la crise syrienne par exemple, nous mettons l’accent sur le fait que nous apportons également notre aide aux Syriens qui ont trouvé refuge au Liban, en Jordanie ou au Kurdistan irakien.
CSF :
Quelle ONG admirez-vous pour sa communication avec le public? Ses campagnes ? Pourquoi ?
TM :
Greenpeace, pour son inventivité et pour ses opérations « coup de poing », mais aussi pour la diversification de ses activités qui parviennent à fédérer un large public et à créer une réelle mobilisation. C’est aussi l’une des rares ONG qui peut se prévaloir d’être à 100 % indépendante financièrement. En cette période de crise, cela mérite d’être souligné. J’ai aussi beaucoup d’estime pour le travail accompli par Reporters sans frontières qui, avec une équipe pourtant resserrée, parvient à mener des actions avec beaucoup de résonance et des campagnes toujours très innovantes. Même si elles ne font pas partie du paysage humanitaire, elles restent pour moi deux exemples à suivre en termes d’engagement et de créativité.
CSF :
Comment imaginez-vous la médiatisation des actions humanitaires dans 10 ans ?
TM :
Elle passera très certainement par de nouveaux canaux de communication, qui se voudront plus participatifs et plus interactifs, et qui intègreront les nouvelles technologies de l’information et de la communication, en lien direct avec la question de la mobilité. Elle suivra l’évolution des media qui, on le constate déjà, se digitalisent et se socialisent de plus en plus.
Le grand public jouera lui aussi un rôle certain. Il se saisira progressivement des causes qui le touchent et l’animent. Un mouvement comme Avaaz – où chacun peut s’il le souhaite attirer l’attention des autres membres de la communauté sur un sujet qui l’indigne et, plus important encore, avoir l’espoir de faire changer les choses – est amené à prendre de l’ampleur. L’engagement est une composante particulièrement forte de l’identité. La médiatisation des actions humanitaires passera donc nécessairement par davantage d’implication de la part des citoyens. Elle sera également portée par les entreprises, à la recherche de visibilité, qui verront là une nouvelle opportunité de s’affirmer comme des structures éthiquement responsables.
CSF :
Qu’est-ce qui vous révolte le plus aujourd’hui ?
TM :
A vrai dire, ce qui me révolte à l’heure actuelle, c’est surtout l’hypocrisie ambiante et l’indifférence. Le fait que, régulièrement, nous tirions la sonnette d’alarme et essayions d’attirer l’attention sur ces fameuses « crises oubliées », et que tout le monde semble éperdument s’en moquer. Ou bien le fait que, dans certains endroits de la planète, le droit international humanitaire ne soit absolument pas respecté. En Afghanistan, au Mali, au Syrie, pour ne citer que quelques exemples, les humanitaires sont littéralement pris pour cible et l’accès aux populations devient, par conséquent, extrêmement compliqué.
CSF :
Qu’est-ce qui vous satisfait le plus aujourd’hui ?
TM :
Le fait de voir que trois ans après la fusion, PU-AMI est devenue une entité à part entière, qui garde toujours un lien très fort avec ses racines mais qui continue d’évoluer en restant attentive au bien-être de chacun. Je voudrais d’ailleurs en profiter pour saluer l’équipe, qui accomplit chaque jour un travail remarquable. Etre entouré de personnes volontaires et passionnées, désireuses de faire toujours plus et toujours mieux, cela n’a pas de prix !
Propos recueillis par Claire MacDonald © Communication Sans Frontières® – CSF
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