Rachid Lahlou « Nous refusons les images chocs ou alarmistes »
Président Fondateur du Secours Islamique France (SIF) .
Titulaire d’une maîtrise en Economie et Gestion des Entreprises de l’Université de Nancy II, Rachid LAHLOU est également titulaire d’un DESS d’Expert Démographe de l’Institut de Démographie de Paris Sorbonne et d’un DEA de l’université de la Sorbonne. Après une carrière d’enseignant, il s’est très tôt impliqué dans des actions sociales et solidaires en France et au Maroc.
Fort de plus de 35 ans d’expérience dans la gestion des associations, dont une vingtaine d’années dans l’humanitaire, il fonde en 1991 le Secours Islamique France (SIF) qu’il dirige depuis quinze ans. Le SIF compte une vingtaine de missions, à travers le monde et développe des programmes dans les domaines de l’enfance, de la sécurité alimentaire, de l’eau et assainissement. Rachid LAHLOU est également Directeur de la revue « Planète Humanitaire » et a participé à de multiples colloques et journées d’études liées aux questions de l’humanitaire et de la coopération internationale. Il a été nommé par Bernard KOUCHNER, Ministre des Affaires étrangères et européennes : membre du Conseil Stratégique pour la coopération non gouvernementale.
Communication Sans Frontières Pouvez-nous nous faire une brève présentation de votre organisation humanitaire ?
Rachid Lahlou :
Le Secours Islamique France (SIF) est une organisation humanitaire qui agit depuis 20 ans dans une trentaine de pays dans le monde dans le domaine de la sécurité alimentaire, l’eau et assainissement, l’enfance. Nous intervenons lors des urgences et menons aussi des actions de plus long terme. Nous menons des actions en France, contre l’exclusion et la précarité (maraudes sociales, épcierie solidaire.etc.) Aujourd’hui, notre budget annuel est de l’ordre de 20 millions d’euros et plus de 90% de nos ressources proviennent de nos donateurs en France. Avec une centaine de salariés au siège et un réseau de bénévoles en France qui ne cesse de s’étendre, le SIF est une organisation dynamique
CSF :
Vous considérez-vous comme une organisation confessionnelle ?
RL :
Nous sommes certes une organisation dont l’appellation fait référence à une religion, l’islam. Notre action se fonde sur les valeurs musulmanes, de solidarité et de partage, qui rejoignent les valeurs universelles. Nous ne sommes pas une organisation missionnaire ou prosélyte. Nos projets s’inscrivent exclusivement dans le domaine de la solidarité et nous agissons dans le respect des principes humanitaires et sans discrimination d’origine, de religion, d’affiliation politique, ou de genre.
CSF :
Quelles relations entretenez-vous avec les autres ONG en France ?
RL :
Le SIF connu, reconnu et accepté par ses homologues du monde humanitaire. Nous nouons parfois ensemble des partenariats opérationnels, comme cela a été le cas avec Handicap International ou avec le Secours Catholique. Nous attachons beaucoup d’importance aux espaces collectifs de concertation et d’échange dont nous sommes membres comme Coordination Sud, le CRID, France Générosité, ou encore Voice, réseau européen des ONG humanitaires. Récemment, nous avons rejoint la Coalition Eau, pour mener collectivement des actions de plaidoyer en vue du prochain Forum Mondial de l’Eau prévu à Marseille en mars 2012.
CSF :
Quelles relations entretenez-vous avec les bailleurs de fonds institutionnels ?
RL :
Le SIF est une ONG qui jouit d’une grande indépendance financière. Nous avons développé ces dernières années le recours à des financements institutionnels qui nous permettent de démultiplier notre impact dans certains pays : ECHO, le Centre de Crise du Ministère des affaires étrangères, l’AFD, le PAM, l’Unicef. mais nous avons fixé stratégiquement un maximum de 30% de nos ressources. Nous veillons également à maintenir une diversité de bailleurs pour sauvegarder notre indépendance dans l’action, notre neutralité et notre impartialité, qui sont des valeurs clés pour nous.
CSF :
Comment êtes vous perçu par les donateurs dans un pays comme la France qui entretient des rapports complexes avec l’Islam ?
RL :
La majeure partie de nos donateurs sont en affinité avec les valeurs et l’éthique musulmanes. Nous avons développé avec eux une relation basée sur la proximité et la confiance, depuis notre création. Il est vrai que nous demeurons encore mal connus du public plus large, et que nous pouvons même parfois susciter une certaine méfiance. Le SIF a adopté une ligne de conduite très claire dans la mise en ouvre de ses projets quant à l’impartialité, l’indépendance de l’aide que nous apportons et la non discrimination dans le choix des bénéficiaires. Nous avons toujours fait des efforts de pédagogie et d’explication de ces valeurs auprès de nos donateurs, et ce, quelque soit la crise
CSF :
Comment voyez-vous cette problématique de la relation de la France à l’Islam ?
RL :
La relation de la France avec l’islam s’inscrit dans l’histoire, et elle est complexe. La France a été une puissance coloniale pendant une longue période et elle a de ce fait développé une proximité avec le monde musulman. Pourtant, on a parfois l’impression que la France découvre cet islam qu’elle connait pourtant si bien. Les évènements qui ont traversé notre planète ces 30 dernières années, à commencer par la révolution iranienne, ont compliqué le dialogue de la France avec les musulmans. Aujourd’hui, l’islam est victime d’une logique souvent électoraliste qui ne favorise pas l’apaisement et l’intégration. Les retombées négatives de cette situation se font ressentir sur nos activités et compliquent parfois notre travail. Mais le SIF s’inscrit dans le long terme et nous sommes très confiants dans l’intelligence de toutes les composantes de la société française pour un dialogue plus constructif qui permette de vivre mieux ensemble
CSF :
Les actions du Secours Islamique ne sont pas particulièrement relayées par les médias francais à l’inverse d’autres associations très visibles à la moindre crise. Comment analysez-vous cela ?
RL :
Une partie de la réponse peut etre déduite de la question precedente : climat de méfiance, méconnaissance de notre réalité, hésitation des journalistes pour s’avancer dans un secteur comme celui de l’humanitaire musulman.toute une série de facteurs peut rendre l’approche compliquée. Cela étant je constate que les choses changent pour le SIF, en dépit des difficultés de l’islam de France à se faire accepter ; en particulier, les médias apprennent à nous connaitre à travers nos actions de solidarité en France qui ont suscité de leur part un intérêt marqué ces derniers temps.
CSF :
Comment une ONG comme la vôtre intervient dans les pays en crise comme la Syrie, l’Egypte, l’Irak, l’Afghanistan, Darfour, Libye par exemple ?
RL :
Sur tous nos terrains d’intervention, et en particulier ceux qui sont traversés par des conflits ou des tensions, nous nous appuyons sur nos principes et en particulier sur notre neutralité, et ce, quelques soient les parties en conflit. En Libye, nous avons apporté de l’aide à des populations des deux cotés. Il faut souligner que,après le 11 septembre, le SIF n’a pas toujours été le bienvenu dans les pays arabo-musulmans et que nous avons du souvent mener un gros travail pour convaincre les autorités concernées
CSF :
Avez-vous une approche communicationnelle qui vous soit spécifique ?
RL:
Notre communication a évolué avec le temps et aujourd’hui les deux points essentiels de notre ligne éditoriale sont les suivants :
– Notre communication doit être positive et véhiculer une image d’espoir pour les populations en crise plutôt que se focaliser sur la détresse et la souffrance.
– Nous refusons les images chocs ou alarmistes. Nous cherchons à expliquer les conséquences d’une crise plutôt que la montrer dans sa violence ou sa brutalité.
En outre, nous avons une spécificité concernant la communication au moment de certains temps forts de l’islam qui sont des moments particuliers de solidarité pour les musulmans. Dans ces moments là, nous nous appuyons sur les références religieuses (Ramadan, Aïd).
CSF :
CSF Comment les populations de ces pays vous percoivent vous qui êtes aussi une ONG « occidentale » ?
RL :
Notre identité occidentale peut être un atout. Prenons le cas de l’Irak, où, pendant et après la deuxième guerre du Golfe, la position officielle de la France a pu avoir une influence positive sur la façon dont nous pouvions être perçus par les irakiens. Cette appartenance occidentale s’est ainsi superposée à notre identité arabo-musulmane pour nous faciliter l’approche d’une population donnée. Mais cela peut également avoir une influence contraire. Là encore, l’exemple de l’Irak, pendant les derniers jours de l’ère Saddam Hussein, en est une illustration puisque des membres de notre équipe ont été arrêtés, emprisonnés, et menacés de mort car nous étions considérés un peu comme des traitres par le régime.
CSF :
Pensez-vous qu’il faudrait définir des critères d’accès aux médias pour les associations?
RL :
Une meilleure régulation de la communication serait une bonne chose pour l’action humanitaire dans son ensemble, mais également pour les donateurs. Au moment du tsunami, les medias ont en quelque sorte « choisi » leurs organisations, parfois davantage selon des affinités ou en fonction de la virulence du lobbying des uns et des autres, plus que par la connaissance du terrain, la performance ou l’efficacité. Certaines organisations ont reçus énormément de fonds alors même qu’elles n’avaient ni les réseaux, ni une présence significative sur le terrain pour pouvoir agir efficacement, ce qui a suscité des interrogations de la Cour des Comptes.Une certaine concertation entre les medias et les ONG est nécessaire et pourrait améliorer la transparence pour le public et l’efficacité pour les ONG. L’idée de créer une coordination de la collecte parrainée par les médias serait à mon sens une bonne idée.
CSF :
Disposez-vous d’une charte éthique pour votre communication ?
RL :
Nous n’avons pas de charte éthique à proprement parler, mais des principes bien établis et partagés au sein de nos équipes. En outre, nous avons un comite d’éthique qui veille au grain sur tous les aspects liés à l’éthique, y compris ceux touchant à la communication.
CSF :
Est-ce que cette dernière s’adresse à tous les profils de donateurs ou prilégiez-vous plutot les donateurs de confession musulmane ?
RL :
Pour certaines campagnes qui sont liées au calendrier religieux, notre cible reste celle des donateurs de confession musulmane. Pour les campagnes axées sur une crise ou une thématique particulière, notre communication s’adresse à tous les publics.
CSF :
Comment abordez vous la question de la représentation des victimes dans vos communications ?
RL :
L’approche de la relation avec les bénéficiaires est très sensible et cadrée chez nous et empreinte de pudeur et de dignité. L’essence de notre existence émane des bénéficiaires, les plus démunis à travers le monde, au service desquels nous sommes engagés
CSF :
Comment abordez-vous la problématique du droit des femmes dans les pays islamiques ?
RL :
Dans nos projets, nous apportons une attention particulière à la question du genre, car nous savons que la prise en compte du rôle de femmes est souvent essentielle pour obtenir l’impact recherché. Notre identité et notre connaissance de l’Islam peuvent nous donner plus de facilité et de légitimité pour aborder cette question auprès des communautés avec lesquelles nous travaillons. Par exemple, dans certaines régions du Tchad, c’est par la pédagogie et les explications que nous avons fait comprendre l’importance d’intégrer des femmes dans les comités de gestion des points d’eau, alors que cela n’allait pas forcément de soi au départ.
CSF :
Est-ce que vous intervenez en Israël ?
RL :
Nous ne développons pas de projets en Israël car nous ne considérons pas qu’il y ait dans ce pays une urgence humanitaire. Nous intervenons en territoire palestinien où la situation est dramatique en comparaison. Nous sommes en cours d’enregistrement à Jerusalem pour améliorer notre capacité d’action dans cette région. Je ne souhaite pas qu’une urgence humanitaire survienne en Israël, mais je tiens à préciser que le SIF est une ONG qui a la capacité et la volonte d’intervenir aupres de toutes les populations qui souffrent, sans discrimination.
CSF :
Quelle est votre position sur le concept de « guerre humanitaire » ?
RL :
Pour moi, ces deux termes sont tout simplement antinomiques. L’impératif humanitaire demande de tout mettre en ouvre pour sauver des vies humaines en apportant soins médicaux, abris, eau, nourriture. Le fait d’apporter une aide au moyen d’une guerre sort bien sur du champ de l’action des ONG. Les interventions armées sont du ressort des états, et elles sont bien souvent motivées par une série de considérations stratégiques et politiques. Il faut être tres prudent quand il s’agit de mettre l’humanitaire en avant pour justifier ce type d’actions.
CSF :
Qu’est-ce qui vous révolte le plus aujourd’hui ?
RL :
Je suis inquiet devant la mutation dangereuse que certains bailleurs de fonds tentent d’imposer au secteur humanitaire, secteur privé et indépendant que l’on veut contrôler, étatiser, et pour certains, instrumentaliser. Cette réduction de la liberté d’action est l’une des choses qui me révolte. J’espère également que la crise actuelle ne servira pas de prétexte pour justifier une baisse des crédits alloués aux crises humanitaires dans le monde, car à mon sens, c’est cette solidarité humaine qui doit rester la première des priorités.
CSF :
Qu’est-ce qui vous satisfait le plus aujourd’hui ?
RL :
Au quotidien, et depuis que j’ai fondé le SIF, je suis heureux de pouvoir contribuer à rendre le sourire aux personnes que nous aidons. Je suis satisfait de voir le SIF célébrer ses 20 ans cette année, et qu’il ait grandi de cette façon. Il apporte sa plus value dans le paysage humanitaire français et il a réussi le pari de la diversité.
Propos recueillis par © Communication Sans Frontières® Mars 2012
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