Tatyana Kmetova « L’ouverture de la Bulgarie à l’économie de marché a fait reculer significativement les droits des femmes dans notre pays »
Tatyana Kmetova est Executive Director du « Center of women’s studies and policies » en Bulgarie. Cet organisme évalue et mesure l’évolution de la place des femmes dans ce pays et conjointement avec d’autres associations internationales, mesure la place des femmes dans l’ex bloc soviétique.
Elle est Vice Chairman de la Commission consultative sur l’égalité des sexes au Ministère de la réglementation sociale et du travail à Sofia. Coauteur d’une étude des sexes en Bulgarie à l’initiative de la Banque Mondiale, elle fut chef du projet « Women Leaders for the 21st century: Building successful local, régional and international partnerships for democracy »2 Tatyana Kmetova est parallèlement consultante pour la mise en place de programme de développement de bailleurs de fonds étrangers en vue de l’intégration européenne et s’occupe des relations avec l’IFID3 rattaché au conseil des ministres du gouvernement de Bulgarie.
Communication Sans Frontières®
Pouvez-vous nous résumer la situation de la femme en Bulgarie si tant est que cela soit possible en quelques mots ?
Tatyana Kmetova
Tout d’abord permettez-moi de vous dire ou de vous rappeler que la situation de la femme en Bulgarie était parmi les meilleures d’Europe en ce qui concerne les acquis sociaux. Sa place dans le monde du travail a toujours été reconnue et sa protection sociale et familiale étaient particulièrement bien développée. L’ouverture de notre pays au monde a provoqué de nombreux bouleversements mais depuis 2002, un nombre important de changements a été fait dans la législation bulgare. Ces modifications substantielles ont été conduites afin de suivre les acquis communautaires européens. L’une de ces lois concerne la protection contre la discrimination qui est entrée en vigueur en janvier 2004.
CSF
Les pays d’Europe de l’ouest et la France en particulier sont très concernés pas le trafic des êtres humains. Avez-vous pris des mesures sur cette question ?
TK
La Bulgarie a mis en place une commission nationale pour combattre le trafic des êtres humains. En janvier 2005 cette commission a approuvé un programme de lutte nationale. Mais ce n’est pas tout. Nous avons par ailleurs adopté en même temps une loi pour la protection de la femme en ce qui concerne les violences conjugales. Il y a 7 ans le débat n’existait pas. Aujourd’hui nous avons progressé mais nous manquons toujours de statistiques nationales fiables. A ce jour, les seules existantes sont celles des Ong. L’on estime qu’une femme sur 4 ou 5 est victime de violence conjugale en Bulgarie.
CSF
Quelle est la situation des femmes dans les milieux professionnels et en politique ?
TK
Les femmes sont payées environ 72% du salaire des hommes. L’on voit ici que le fait d’être une femme vous confère un handicap. C’est le cas dans pratiquement toute l’Europe. Y compris dans les pays dits développés comme la France l’écart des salaires reste significatif. En politique les femmes sont relativement bien représentées. Après les élections parlementaires de 2001, 27,1% des parlementaires étaient des femmes. Après les élections municipales de 2003, 9% des maires étaient des femmes. Elles ont gagné 16% des sièges aux conseils municipaux et 24% des conseillers municipaux étaient de sexe féminin. Mais, en même temps, le nombre de chômeuses qui ont quitté leur emploi pour des raisons familiales et 5 fois supérieur à celui des hommes qui ont du quitter leur emploi pour les même raisons.
CSF
Que vous inspire cette situation ?
TK
Tout d’abord l’ouverture de la Bulgarie à l’économie de marché a fait reculer significativement les droits des femmes dans notre pays. Nous devons donc repasser un col de montagne que nous pensions avoir déjà franchi. Cet exercice est particulièrement difficile car, comme vous le savez, l’on perd des acquis sociaux ou citoyens en un instant alors que l’on met des années voire des décennies ou des siècles à les conquérir. Nous sommes donc ici dans une situation paradoxale. L’on a gagné en liberté et en démocratie et l’on a perdu en acquis sociaux. La Bulgarie doit élaborer maintenant une stratégie pour la recherche de l’égalité entre les sexes. Les mesures et informations sur le sujet doivent être approfondies et accentuées. Des indicateurs doivent voir le jour. En plus de la loi contre la discrimination, une loi sur l’égalité de traitement entre la femme et l’homme devrait être adoptée pour garantir la représentativité des femmes dans la société.
CSF
Quelle est la situation des femmes Roms ?
TK
L’inégalité s’exprime en plus d’une discrimination sexuelle par une autre forme de discrimination qui est raciale. Ces femmes doivent faire face à de nombreux préjugés dans l’embauche, la promotion et le salaire qu’elles sont en droit d’attendre. Mais plus que tout, elles sont quasiment entièrement exclues de la vie économique, contraintes par des opportunités d’éducation limitées, des maisons inappropriées, des conditions de santé minimum, un rôle traditionnel dans leur milieu d’origine… En bref, elles sont marginalisées par toutes les communautés. Elles travaillent dans l’économie informelle et sont généralement non déclarées, occupent des emplois saisonniers. Tout cela favorise leur invisibilité et leur vulnérabilité.
CSF
L’on entend souvent ici que les Roms et les Tziganes sont non intégrables car ils feraient tout pour ne pas l’être, y compris en ne voulant pas se soumettre aux lois et directives nationales. L’on entend aussi que des Ong couvriraient, sous couvert de discrimination ethnique ou raciale, l’activité illicite de certains membres de ces populations. Qu’en est-il exactement ?
TK
Il me semble que tout le monde devrait se mettre autour d’une table et discuter. C’est le meilleur moyen d’avancer. Les chiffres en tout cas parlent d’eux mêmes. Dans certains nouveaux états membres 80% des Roms sont sans travail. En Roumanie, qui rejoindra avec nous la communauté européenne en 2007, 35% des femmes entre 25 et 54 ans sont sans emploi. En Bulgarie, 41% de ces femmes sont sans travail après 55 ans alors qu’il y en a 19% dans le reste de la population à cet âge.
CSF
Y a t-il un problème d’accès à l’éducation ?
TK
Très certainement. Une véritable ségrégation existe dans l’accès à l’école. En Roumanie, seulement 3% des femmes et 7% des hommes Roms ont fait des études secondaires en comparaison avec 63% des femmes et 73% des hommes dans le reste de la population. L’accès aux soins est aussi un problème. En République Tchèque, par exemple, l’espérance de vie d’une femme Rom est de 60 ans. Elle est de 14 ans moins élevée que la moyenne nationale des femmes Tchèques…Il est grand temps d’intégrer des femmes Roms dans la mise en place des programmes qui concernent leurs vies.
CSF
Un débat fait rage en France sur la place de la Turquie dans la communauté européenne. Vous qui avez une vision transfrontalière de la situation des femmes dans la région ; quelle est la situation de la femme Turque ?
TK
Le rapport de la Commission Européenne en 2004 a prudemment commenté les progrès de la Turquie dans le domaine de l’égalité des sexes. L’article 10 de la Constitution du pays indique depuis le 7 mai 2004 que l’homme et la femme ont les mêmes droits et que la responsabilité de l’application de cette décision appartient à l’Etat. D’autres décisions vont dans le bon sens mais il reste de nombreux progrès à faire en particulier dans l’obtention du congé parental, de la sécurité sociale, de leur place dans les processus de décisions… toutes ces questions doivent avoir une base légale, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
CSF
Comment voyez-vous la place de la femme dans la publicité4 en Bulgarie ?
TK
Notre pays est en train de s’ouvrir en force aux méthodes de marketing international. Ce que l’on constate c’est que la place qu’occupe les femmes dans la publicité aujourd’hui est celle d’une femme objet. Une sorte de produit de consommation que l’on met en scène au même titre que n’importe quel autre produit de grande consommation.
CSF
Qu’est ce qui vous révolte le plus aujourd’hui ?
TK
L’inégalité entre les sexes ne régresse pas. Selon le dernier rapport du FNUAP5 publié ce 12 octobre, dans le monde, 600 millions de femmes sont analphabètes contre 320 millions d’hommes. Les femmes occupent seulement 16% des sièges de parlements nationaux au niveau mondial. Une femme sur cinq sera au cours de sa vie victime d’une tentative ou d’un viol et la violence tue ou handicape autant de femmes entre 15 et 44 ans que le cancer. voilà ce qui me révolte !
CSF
Et ce qui vous satisfait ?
TK
Les femmes semblent prendre la mesure du problème et deviennent de plus en plus convaincues qu’elles doivent, elles mêmes, prendre les choses en main plutôt que d’attendre une hypothétique amélioration de leurs conditions venant d’on ne sait où. Ce mouvement commence à prendre de la vigueur un peu partout dans le monde, y compris chez nous.
1 www.cwsp.bg
2 EU-2000 NGO delegate to the UN General Assembly Special Session ti review the beijing platform for action, NY.
3 International Financial Institutions Directorate
4 Reklama en Bulgare
5 Fonds des Nations Unies pour la Population
Propos recueillis par Communication Sans Frontières® à SOFIA – Bulgarie le 18 octobre 2005.
Traduit du Bulgare par Kalin Kantchev.
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