Jacqueline Alexandre « Le zapping permanent du téléspectateur oblige les médias à donner du concentré de concentré d’informations »
Journaliste elle présente en voix off l’émission « Les actualités » en 1969 sur l’unique chaine de télévision nationale : l’ ORTF. Elle est aussi speakerine à la télévision régionale de la ville de Rouen. Au début des années 1970 elle rejoint l’ ORTF comme remplaçante. Elle présentera sa toute première émission en 1979, « Les Chocolats du dimanche » qui sera diffusée le dimanche après-midi sur Antenne 2.
Ce sera par la suite « À nous 2 » en 1983 qu’elle animera avec Patrick Poivre d’Arvor. En 1987 elle quittera Antenne 2 pour FR3 pour présenter le journal de la nuit jusqu’en 1989. Désormais conseillère en communication elle est par ailleurs Présidente de l’association Docteur Bru depuis 2002
Communication Sans Frontières :
Vous êtes présidente de l’Association Docteurs Bru. Pouvez-vous nous expliquer quel est le but poursuivi par cette association ?
Jacqueline Alexandre
L’action principale de cette Association est la prise en charge spécifique de jeunes filles abusées sexuellement ou ayant vécu l’inceste. En 1996, nous avons ouvert à Agen, un établissement expérimental où nous accueillons 16 jeunes filles de 10 à 18 ans.
CSF :
Depuis 10 ans, votre conseil scientifique mène des travaux de recherche sur la prise en charge de jeunes filles victimes d’agression sexuelle. Quelles sont les avancées majeures de ses recherches ?
JA :
Nous avons pu observer les principaux signes révélateurs des abus sexuels : les fugues, les tentatives de suicides, les scarifications à répétition, l’usage de drogue, l’alcoolisation, et la violence verbale.
A partir de ces manifestation de détresse, nous avons mis en place une « prise en charge spécifique » basée sur le soin psy., l’éducatif et une place importante donnée à la parole. Les jeunes filles qui vivent chez nous en internat, fréquentent les écoles et lycées de la ville, ou suivent des formations professionnelles. Elles ont le choix de leurs loisirs à l’extérieur (aviron, équitation, chant, boxe, expression corporelle…), et participent à des ateliers à visée éducative à l’intérieur de l’établissement (atelier cuisine, bricolage, jardinage…).
Le travail de recherche mené sur notre prise en charge, a montré que le fait d’être réunies dans un même établissement – à partir du traumatisme de l’inceste – était positif : « s’il existe un établissement spécial pour nous, c’est que ça arrive à d’autres et que nous ne sommes pas des monstres ».
Parmi les spécificités de notre établissement, nos éducateurs suivent une formation continue et un espace de parole est organisé en présence d’un psychiatre, chaque semaine. Nous gardons le contact avec les familles, un psychiatre de notre équipe rencontre les familles, et également les abuseurs (ils restent leurs père, frère, oncle…).
Nous préparons à l’autonomie les jeunes filles les plus grandes. Par la suite, nous restons en contact avec les anciennes résidentes par le biais d’un club créé pour elles.
CSF :
Votre métier d’origine est le journalisme et la communication. Qu’est-ce qui vous a amené à vous investir dans l’humanitaire ?
JA :
Une reconnaissance éternelle pour les bénévoles que j’ai eu l’occasion de côtoyer pendant mon adolescence et le hasard. Enfant, j’ai fait du scoutisme, du théâtre dans la troupe de mon lycée, du chant, autant d’activités de groupe qui m’ont donné l’esprit d’équipe, une certaine exigence, et… le goût pour la communication. Dans l’humanitaire, la communication a, là aussi, beaucoup d’importance !
Le hasard : ma rencontre professionnelle avec le Docteur Nicole Bru, la fondatrice de cette Association.
CSF :
Quelles sont vos relations avec les médias désormais en tant qu’ONG ?
JA :
Nous avons des relations de partenariats. C’est d’autant plus facile que les médias s’intéressent spontanément à l’expérience que nous menons, pour le côté innovant de notre action.
CSF :
Vous n’êtes personnellement que très peu présente sur la scène médiatique, ne serait-ce que pour communiquer sur l’avancée des recherches de l’association. Quelle en est la raison ?
JA :
La presse est régulièrement tenue informée de l’avancée de nos travaux, la preuve, c’est venu jusqu’à vous !. C’est l’expérience que nous menons qui intéresse la presse : l’abus sexuel a été « nié » jusque dans les années 80, et ceux et celles qui en étaient victimes cantonnés dans leur silence. Après l’annonce en 1996 de la création de notre établissement – qui est unique en son genre- nous avons attendu d’avoir quelque chose à dire. Il nous a fallu 10 ans de travail, d’observation, de doutes, d’expériences tentées, d’avancées, avant d’avoir quelque chose à communiquer.
CSF :
Les petites et moyennes associations comme la vôtre n’ont que très peu de moyens d’expression dans les médias. Comment y remédiez-vous au sein de votre association ? Est-ce pour vous indispensable de passer par les médias pour faire passer l’information ?
JA :
Il y a plusieurs moyens de communiquer sur les expériences menées dans le domaine associatif. : les colloques, Internet et la presse. Nous utilisons les trois !
CSF :
Les médias peuvent aider les ONG en diffusant l’information et en faisant pression. On le voit aujourd’hui avec les résultats obtenus par l’association Don Quichotte grâce à la presse, la radio et la télévision alors même que leur opération a démarré via Internet. Quel est votre avis ? N’avez-vous pas le sentiment que seule la sur-médiatisation peut modifier les comportements ?
JA :
Toutes les mobilisations ne sont pas de même nature. L’abbé Pierre a innové avec force et talent, Bernard Kouchner à sa façon, les « Don Quichotte » aussi, chacun avec succès. En revanche, par définition, on est moins au courant de ce qui s’obtient de façon plus classique. Il me vient à l’esprit l’exemple du Sénateur Lucien Neuwirth qui a su imposer la pilule contraceptive en France et a beaucoup fait ces dernières années pour la prise en charge de la douleur. Non, la sur-médiatisation n’est pas la seule à pouvoir modifier les comportements, et c’est heureux. Il y a la prise de conscience et la réflexion aussi.
CSF :
Pensez-vous que l’on glisse vers une information « spectacle » au détriment de l’information elle-même, que la course à l’audience passe avant le devoir d’informer, de témoigner ?
JA :
Je ne me sens pas une âme de donneur de leçon. Qu’il s’agisse de presse écrite, de radio ou de télévision, chaque support a envie de drainer « son » public en grand nombre. Les auditeurs de France culture ne sont pas les mêmes que ceux de RTL, je n’ai de mépris pour personne, il faut juste être clair sur le but recherché.
Le zapping permanent du téléspectateur oblige les médias à donner du concentré de concentré d’informations. Or, en ce qui concerne ce qui l’humanitaire il est nécessaire de prendre un problème dans sa globalité, à sa source, et non de faire ressortir le sensationnel. Je n’aime pas le sensationnel, car pour en faire on est prêt à tout. J’ai envie d’atteindre les fibres les plus noble de l’être humain : la générosité, l’écoute et la compassion, et non la sensiblerie exacerbée. Nous devons poser les bonnes questions et inciter les gens à réfléchir.
CSF :
On assiste à une véritable montée en puissance de la médiatisation des agressions sexuelles. Que pensez-vous du traitement de l’information de ces affaires ? L’éthique et la déontologie sont elles respectées dans la diffusion des images ?
JA :
Qu’on en parle plus ou moins bien, c’est vrai de ce sujet comme de beaucoup d’autres. Ce qui importe aujourd’hui, c’est qu’on en parle. Que l’on sache, même par le biais d’un sujet plus ou moins bien traité, mais que l’on sache que le viol est un délit grave, un crime, ça fera réfléchir ! Tout ce qui pousse à la réflexion est, à mes yeux, essentiel.
CSF :
Votre association accueille des jeunes filles victimes de violences sexuelles. Etes-vous parfois confrontée à ce problème de médiatisation de leurs histoires ? Comment les protégez-vous ?
JA :
Nous ne parlons jamais de leur histoire, nous ne parlons que de ce que nous tentons, avec elles, pour les aider à dépasser, à surmonter le traumatisme qu’elles ont vécu.
CSF :
Qu’est-ce qui vous révolte le plus aujourd’hui ?
JA :
Ce qui me révolte, qu’un homme puisse abuser d’une petite fille de 2 ans. Cela n’a plus de mot lorsqu’il s’agit de son père !
CSF :
Et ce qui vous satisfait le plus ?
JA :
Rencontrer une de nos jeunes filles qui a passé quelques années parmi nous à La Maison d’accueil Jean Bru, et qui nous dit : « Sans vous, je ne m’en serais jamais sortie, vous m’avez remise sur les rails et redonné confiance en moi ». Surtout lorsqu’à son arrivée chez nous, elle était la plus démolie et la plus révoltée. Une de celles dont on se disait : « Quoiqu’on fasse, on n’arrivera jamais à rien… ». Eh bien si, il ne faut jamais désespérer.
Propos recueillis par Sandrine Tabard
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