Augustin Legrand « Il faut mettre une pression permanente sur nos gouvernants ».
Président fondateur des » Enfants de Don Quichotte »
Né dans une famille d’artistes, Augustin Legrand passe son enfance dans une ferme de la Beauce, sans chauffage, ni télévision, avec ses cinq frères et sœurs. Après des études de droit, il obtient une maîtrise de droit fiscal, qu’il passe entre Londres et Paris. Changeant complètement d’horizon, il s’inscrit au cours Florent pour devenir acteur. En 2006, scandalisé par les conditions de vie des SDF, il décide de créer avec Pascal Oumakhlouf et Ronan Dénécé l’association caritative qui vient en aide aux mal-logés : les Enfants de Don Quichotte. Le 16 décembre 2006, elle installe quelque deux cents tentes sur les berges du canal Saint-Martin à Paris : le but est de sensibiliser les pouvoirs publics. Des personnalités comme Jean Rochefort, Bertrand Delanoë, Christine Boutin ou François Hollande soutiennent le mouvement. Parallèlement, Augustin Legrand poursuit sa carrière d’acteur. Il organise en décembre 2007 une nouvelle tentative d’installation des tentes sur les bords de la Seine mais l’association est rapidement expulsée par la police. Augustin Legrand poursuit son combat de militant mais refuse toujours de faire de la politique.
FILMOGRAPHIE
- L’Héritage (2006) de Gela Babluani
- 13 Tzameti (2006) de Gela Babluani
- Immortel (2004) de Enki Bilal
- Les Rivières pourpres 2 : les anges de l’apocalypse (2002) de Olivier Dahan
- Le Frère Du Guerrier (2002) de Pierre Jolivet
- Monique (2002) de Valérie Guignabaudet
- Les Deux Mondes (2007) de Daniel Cohen
- Poudre aux yeux (2008) de Augustin Legrand : documentaire sur l’histoire de l’association Les Enfants de Don Quichotte visant à mobiliser les gens pour la cause des mal-logés.
Communication Sans Frontières :
Nicolas Sarkozy s’est donné 2 ans après son élection pour faire en sorte que plus personne ne dorme dans la rue : pouvez vous nous décrire la situation telle qu’elle est aujourd’hui?
Augustin Legrand :
Catastrophique. Il y a eu une sensibilisation de l’opinion pendant l’opération du Canal St Martin, et le dossier est devenu épineux pour les pouvoirs publics. À ce moment là, Nicolas Sarkozy, en campagne, a fait des promesses. Elles ont été entendues par les 50% des français qui disent avoir peur de se retrouver dans la rue. Une fois élu, le Président n’a rien fait pour tenir sa promesse.
Le Plan « Borloo » qui a été mis en place pour sortir de la crise du Canal était intéressant. Il permettait de « fluidifier » le système : du logement social devait être construit massivement. Une partie de ces logements sociaux devait être réservée pour des personnes qui vivent en centre d’hébergement de longue durée et qui pourraient vivre de manière autonome. Ce qui aurait libéré suffisamment de places pour les personnes à la rue ou en centre d’hébergement d’urgence.
Ce plan n’a été que partiellement mis en oeuvre. Il n’y a eu que très peu de logements mis en chantier, et encore moins de réservés pour les sortants de centre d’hébergement. Cela a créé une embolie du système qui fait qu’aujourd’hui, nombreux sont ceux qui n’ont pas accès à l’hébergement ou au logement. Nous avons alerté Mme Boutin, M. Fillon et M. Sarkozy, en été et automne 2007. Ils ne nous ont pas écoutés.
Nous avons tenté de mettre des tentes devant Notre-Dame, ils nous ont évacués, mais Fillon nous a reçu trois jours plus tard et a mis en place une « commission ». Un collectif s’est formé, entre toutes les plus importantes associations traitant de la précarité et du logement, qui a fait une synthèse des mesures à mettre en oeuvre pour éradiquer ce problème de mal-logement, comme les anglais ou les pays nordiques ont su le faire. Le gouvernement n’a pas voulu écouter, et seul un énième plan sous-financé a été mis en oeuvre.
Nous avons interpellé le Président, mais à ce jour il n’a pas donné suite.
Ce qui est sûr, c’est que sa promesse ne sera pas tenue.
CSF :
Regrettez-vous d’avoir refusé, en septembre 2007, le poste de chargé de mission pour la Mission du Plan Grand Froid que vous offrait Marie-Christine Boutin ?
AL :
Absolument pas ! Ce que l’on m’a proposé c’est de piloter le plan grand froid, sans moyen supplémentaire. C’est-à-dire mettre à l’abris dans des gymnases, dans des casernes militaires, pour quelques jours quand il fait froid. Dés que la température remonte, les gars sont mis dehors !
C’est exactement ce contre quoi on s’est battu et on se bat encore… Nous pensons qu’il faut héberger dans la durée, dans des conditions dignes et décentes. Avec un accompagnement de qualité, qu’il soit psychologique ou médical, pour sortir des addictions, pour sortir de la rue.
CSF :
Que pensez-vous des solutions apportées par le Ministre du Logement, comme la maison à 15 euros proposée depuis avril 2008 ?
AL :
Pourquoi pas ! C’est comme la maison à 100 000 euros de Borloo, je crois que 80 ont été construites en France depuis son lancement. Ce n’est pas avec cette maison à 15 euros que l’on va résoudre la crise du logement, mais cela peut être bien pour certains ménages.
L’accession sociale à la propriété n’est pas une mauvaise chose, mais penser que tout le monde sera propriétaire est une utopie. Il faudra toujours un parc locatif social important.
Un autre exemple :
Aujourd’hui les associations spécialisées considèrent – et les pouvoirs publics partagent le diagnostic – qu’il y a 600 000 logements insalubres en France. Le gouvernement s’est fixé, après notre action de décembre 2007, un objectif de 12 000 logements par an.
Vous vous rendez compte du décalage entre les besoins et la réponse politique.
CSF :
On parle souvent des « SDF » lors des périodes d’hiver, qu’en est-il en été, ou le reste de l’année ?
AL :
On meurt plus à la rue en été qu’en hiver ! C’est encore plus dur l’été car on ne peut se protéger contre la chaleur. Et les vacances scolaires sont souvent fatales : moins de bénévoles, moins de personnel, de nombreux centres d’hébergement ferment… C’est incroyable que l’on continue à fermer ces centres en été !
CSF :
Comment vivez-vous le fait de vous battre contre les moulins à vent politiques ?
AL :
C’est vous qui le dites… Je pense que c’est un combat que l’on peut et que l’on doit gagner.
Ce qui est dur, c’est de se rendre compte que les politiques ne s’intéressent au sujet que quand il est dans l’actualité, et que finalement il faut mettre une pression permanente sur nos gouvernants. C’est lassant ! Surtout quand tu démontres par A+B que c’est bon pour la cohésion sociale, que c’est bon pour notre économie, que c’est cohérent, etc…
Il n’y a rien qui devrait freiner une action forte contre le mal-logement. Aucune logique ne peut aller contre…
CSF :
De nombreuses associations « s’occupent » des « SDF » depuis des années, pensez-vous avoir bousculé des « intérêts » divers et variés, y compris associatifs, en lançant vos opérations ?
Quelles sont vos relations avec les autres ONG et les associations caritatives, comment vous positionnez-vous vis à vis de ceux qui agissent depuis longtemps?
AL :
Au début, il y a eu une peur, une incompréhension de la part des associations « institutionnelles ». Elles ne nous connaissaient pas et ne savaient pas ce que nous voulions. Elles n’ont pas compris notre intention première qui était de leur donner la parole, de leur permettre de négocier auprès du gouvernement. Sans le savoir, on entrait dans un jeu de quilles et il fallait veiller à faire tomber uniquement celles qui n’étaient pas bonnes.
Comme on ne cherche pas à devenir gestionnaire, on ne cherche pas à s’institutionnaliser et à récolter des dons, on n’a pas trop bousculé les intérêts.
Finalement, on s’en est plutôt bien sorti et on a fini par rencontrer à peu près tout le monde et on s’apprécie.
On a pris la place du maillon manquant dans la chaine. Le porte-voix qui permet de faire entendre plus fort leurs idées.
Mais on se bat aussi contre certaines pratiques de ces associations. Il est scandaleux que les personnes hébergées soient reçues dans des conditions indignes, souvent cautionnées par les gestionnaires. Il est scandaleux que les personnes soient continuellement remises à la rue, baladées de centre en centre, sans qu’un accompagnement ne soit mis en place et finalement se découragent et ne vont plus dans les centres d’hébergement. Cela est désormais illégal, depuis la loi sur le Droit au Logement Opposable, et pourtant certaines associations (comme le SAMU SOCIAL pour ne citer que la plus connue) continue dans cette voie, qui broie ces êtres humains. C’est un scandale.
CSF :
Comment ne pas vous institutionnaliser? Créerez-vous une fondation ou une association pour pérenniser vos actions ?
AL :
Les Enfants de Don Quichotte est une association ! C’est dans la tête que nous ne nous institutionnaliserons pas. Nous voulons garder ce positionnement de « citoyen », de « bon père de famille », et ne pas devenir une association qui « s’occupe » des sans-abri. D’autres font le métier beaucoup mieux que nous. Et nous voulons nous battre contre d’autres « moulins à vent », comme vous dites !
CSF :
Comment les Enfants de Don Quichotte sont-ils financés aujourd’hui ? Recevez-vous des dons du public ?
AL :
Au début nous nous sommes autofinancés, chacun des membres et quelques amis ont fait des dons à l’association.
Sur le canal, nous avons reçu pas mal de dons, mais finalement notre force c’est de ne pas avoir besoin d’argent (ou si peu !).
En décembre dernier, pour Notre Dame, nous avons reçu des dons de quelques personnes qui nous ont permis de financer les tentes.
Mais nous ne sommes pas trop dans cette logique.
CSF :
Avez-vous eu des problèmes avec Décathlon dont la marque Quechua est devenue emblématique des tentes de rue pour les sans-abri de Paris ?
AL :
Non, aucun. Nous avons acheté les tentes avec une toute petite réduction. Et nous avons de très bons rapports avec les vendeurs de Décathlon !
CSF :
Comment gérez-vous votre médiatisation et celle de l’association et la notoriété qui va avec ?
AL :
C’est compliqué, parce que ce n’est pas agréable, mais c’est tellement nécessaire. Les médias ont besoin d’une « icône » , ils ont vu en moi le fils de l’abbé pierre, etc… C’est ridicule. Mais si pour que les choses changent durablement il faut passer pas là, je l’accepte ! J’ai des coups de gueule que d’autres ne peuvent avoir et qui sont nécessaires. Cela plait aux médias.
CSF :
Pensez-vous que les médias entretiennent l’exploitation de la souffrance comme une forme de
divertissement ?
AL :
Non. Mais je pense qu’il leur faut du sensationnel pour satisfaire leurs « clients », et c’est dommage. Malheureusement, c’est la souffrance qui est la plus sensationnelle.
CSF :
Certains de vos détracteurs vous accusent de mégalomanie ou d’être avide de publicité. Votre saut, nu, dans la Seine, a fait pas mal de vagues…
AL :
Je le comprends, mais pour attirer l’attention encore une fois il faut du sensationnel. Sauter dans la Seine a permis à notre site internet d’être visité trois ou quatre fois plus, il a permis aux médias de parler des sans-abri, c’était le but recherché. Croyez-moi, ce n’était pas très drôle de sauter dans la Seine en plein mois de novembre, depuis un pont, de nuit. Mais c’était spectaculaire…
CSF :
Comment justifiez-vous votre présence cette année à Cannes, l’un des festivals les plus « strass et
paillettes » du monde ?
AL :
Je le justifie simplement par le fait que c’était important d’y être, avec un film « politique » qui retrace l’action. C’était important car il faut occuper tous les espaces disponibles. Il faut que l’on parle de ce que vivent les gens dehors, de comment on est gouverné. Nous voulons transmettre et le cinéma est un média, indépendant, qui nous permet de raconter notre vérité. Quand Michael Moore est à Cannes, cela ne choque personne, parce qu’il est strass et paillettes. Nous y étions avec Marco et Ahmed, deux anciens du canal. On a parlé du film, mais aussi et surtout du problème, et c’est ça qui importe.
De plus le film permet de comprendre ce que nous avons vécu, comment nous l’avons vécu, qui nous sommes… C’est important que le grand public ait accès à cela, sans le prisme que peuvent être les médias.
Le film va sortir en salles en octobre, et il devrait aussi permettre de faire rentrer de l’argent pour l’association (tous les bénéfices lui seront reversés), s’il marche !
CSF :
N’êtes-vous pas en fait optimiste alors que vous dites vous-même que nous vivons dans « un monde noir » ?
AL :
Optimiste ? Oui, je crois que notre génération va changer le monde. Je crois que nous sommes beaucoup plus préoccupés par l’état du Monde que ne l’étaient nos parents. Je pense que les choses peuvent changer et que l’intérêt général prend le pas sur les intérêts particuliers.
Mais le monde reste « noir » car tant de personnes vivent dans des souffrances invraisemblables.
CSF :
Qu’est-ce qui vous révolte le plus aujourd’hui ?
AL :
Que l’on ne tienne pas les promesses faites à des personnes qui n’ont plus rien et qui avait retrouvé un peu d’espoir. Que l’on n’agisse pas, là où il est tellement cohérent d’agir. Que des « mesquineries
budgétaires » fassent tant de mal.
CSF :
Et ce qui vous satisfait le plus ?
AL :
Un mouvement est en marche, depuis le vote de la loi DALO. C’est trop lent certes, mais la marche arrière n’est plus possible. Le doigt est dans l’engrenage…
Propos recueillis par Elise Plus
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