Cécile Sportis « Plus de 800 millions de personnes s’endorment chaque soir sans avoir mangé suffisamment »
Depuis septembre 2005, Cécile Sportis est directrice du Bureau de Liaison de Paris du PAM, le Programme Alimentaire Mondial des Nations Unies qu’elle rejoignit à Rome en 2002. Elle fût précédemment d irectrice adjointe de la division de la communication, du département de la mobilisation des ressources de cet organisme dans la capitale italienne. Elle occupa par ailleurs, toujours pour le PAM, le poste de directrice adjointe de la division des relations avec les donateurs du même département et fût chef du service de la mobilisation des ressources (Europe, Moyen Orient et Afrique).
Avant de rejoindre les Nations Unies, Cécile Sportis occupa les fonctions de secrétaire générale de la mission interministérielle pour l’Europe du Sud-Est et de conseillère de M. Charles Josselin, ancien ministre délégué à la coopération et au développement. Responsable du « desk environnement » à la direction des Nations Unies du Ministère des Affaires Etrangères, elle passa de nombreuses années à l’étranger notamment en tant que secrétaire générale de l’ambassade de France à Washington et coordinatrice au sein de l’ambassade de France au Portugal pour la première Présidence européenne de ce pays. Rompue aux problématiques humanitaires d’envergure, elle fût directrice exécutive de la cellule d’urgence (coordination de l’action humanitaire française dans les crises suivantes : Tremblement de terre en Arménie-Déc. 1988 ; Guerre du Liban-1988 à 1990 ; Chute du communisme en Roumanie-Déc. 1989/1990 ; Guerre du Golfe et gestion de la crise kurde – août 1990 /juin 1991 ; Guerre Sénégal Mauritanie-1989 ;Crises du Libéria, de la Sierra Leone-1990/1991 ; Début de la crise bosniaque).
Chargée de Mission à la Présidence de la République (mise en place de la fondation Danielle Mitterrand-Solidarité Internationale Droits de l’Homme) de mars 1986 à décembre 1988, elle commença sa carrière en tant que chargée de mission auprès du Directeur des Affaires Politiques chargé des Droits de l’Homme en 1984 et fût dès 1981 chargée de mission à la Présidence de la République pour les droits de l’homme.
Communication Sans Frontières
Vous êtes directrice du tout nouveau bureau parisien du Programme Alimentaire Mondial, une entité qui n’existait pas auparavant. Pourquoi un bureau en France ? Quelles sont les ambitions du PAM au travers de cette représentation ?
Cécile Sportis
Le Programme Alimentaire Mondial est la première organisation internationale d’aide alimentaire dans le monde : en 2005, le Programme a fourni une aide alimentaire à plus de 110 millions de personnes dans 80 pays. Paradoxalement, cette organisation, qui a une grande visibilité dans les pays bénéficiaires des programmes humanitaires, est peu connue en Europe et notamment en France. Le Programme dépend intégralement des contributions volontaires des Etats et de quelques entreprises de sorte que le Bureau de Paris a été créé pour accroître la visibilité des actions du PAM en France et dans les pays francophones.
CSF
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste l’action du PAM dans le monde ?
CS
L’objectif principal du PAM est d’éliminer la faim et la pauvreté dans le monde. Le PAM procure et achemine de la nourriture à la fois dans des actions d’urgence, comme par exemple au Kenya ou au Darfour, mais également dans des projets durables de prévention ou de développement économique et social des régions où sévit la faim, comme au Sahel ou au Bangladesh. Sa deuxième mission est la logistique de grandes opérations, comme en ce moment au Cachemire ou en RDC. Enfin, nous essayons de faire prendre conscience aux décideurs mais aussi au grand public de l’ampleur du problème : on meurt aujourd’hui deux fois plus de faim que du sida, du paludisme et de la tuberculose réunis. Faut-il rajouter que si les gens mangeaient à leur faim, ils seraient beaucoup plus résistants à ces maladies ?
CSF
Comment est répartie l’aide que vous apportez dans le monde et sur quels critères ?
CS
L’action du PAM couvre l’Afrique subsaharienne, le Moyen-Orient, l’Amérique latine et la région Asie-Pacifique. Parmi les 113 millions de personnes qui ont bénéficié de l’aide du PAM en 2005, 89 millions ont été aidées dans le cadre de projets d’urgence, à court ou long terme. Les bénéficiaires sont majoritairement des personnes déplacées, des réfugiés, des orphelins du SIDA et des victimes de catastrophes naturelles (inondations, sécheresses…). 24 millions de personnes ont reçu une aide dans le cadre de projets de développement, dans le domaine de la santé, de la nutrition et de l’alimentation scolaire.De façon plus globale, nous pouvons dire que nous aidons les plus pauvres des pays les plus pauvres. Plus de 50% de notre aide va à l’Afrique et plus de 70% dans des PMA. Enfin, dans plus de 50% des cas, notre aide est remise directement aux femmes.
CSF
Quelle est la situation dans le monde au regard de la faim et de la malnutrition ?
CS
Alors qu’aujourd’hui le monde dispose d’assez de produits alimentaires pour que chaque être humain puisse se nourrir correctement et mener une vie saine et active, plus de 800 millions de personnes s’endorment chaque soir sans avoir mangé suffisamment. Quelques 50 millions de personnes victimes de catastrophes d’origine humaine ou naturelle sont menacés de famine mais l’immense majorité est en fait victime de la pauvreté et du sous développement de leur pays. Chaque jour, la faim ou la malnutrition est la principale cause de décès de 11 000 enfants, soit un toutes les huit secondes.
CSF
Comment gérez-vous la répartition de vos actions entre les situations d’urgence et les crises de long terme ?
CS
Dans les situations d’urgence, on constate une rupture de l’approvisionnement et l’implication du PAM est donc essentielle pour aider les populations. Quand on essaie de nourrir 100 000 personnes affamées, effectif relativement modeste en situation d’urgence, on a besoin d’environ 57 camions de nourriture pour couvrir un mois seulement de rations alimentaires habituelles, ce qui explique que l’aide d’urgence absorbe la plus grande partie des fonds du PAM. Aujourd’hui, nos projets de développement ne représentent hélas plus que 15 à 20% de nos programmes.
CSF
Qui vous soutient financièrement et quels sont les gouvernements les plus généreux ? Comment réussissez-vous à garder une indépendance dans vos choix face aux politiques de chacun ?
CS
Les gouvernements sont la principale source de financement du PAM. Au total, plus de 60 gouvernements financent nos projets humanitaires et de développement, leurs dons se font à la fois en espèces et en nature. Le soutien des gouvernements est intégralement volontaire. En 2005, les États-Unis étaient le principal donateur, ayant affecté plus de 1,2 milliard de dollars aux activités du PAM. Venait ensuite la Commission Européenne, avec près de 260 millions de dollars versés la même année, suivi du Japon, avec 160 millions de dollars.Par ailleurs, les entreprises peuvent nous apporter leur soutien financier, leurs dons en nature mais aussi leur expertise dans les domaines du transport, de l’information, de la communication, de la technologie, de la logistique, de la finance et des ressources humaines. Leur savoir-faire peut nous permettre d’améliorer notre organisation, de la rendre plus efficace et de contribuer ainsi à venir en aide à davantage de personnes qui souffrent de la faim.
Depuis 1996, le PAM est régi par un conseil d’administration renouvelé tous les trois ans par voie d’élections. C’est lui qui oriente notre travail et produit les textes garants de la bonne marche du Programme et de son indépendance.
CSF
Recevez-vous également des dons de particuliers ?
CS
Dans certains pays, nous recevons des dons de particuliers mais cela reste infinitésimal car ce n’est pas un axe de notre travail de recherches de fonds. Nous préférons pour l’instant en tous cas être connus et reconnus pour notre travail. Mais chacun peut bien sûr apporter sa contribution en ligne sur le site du PAM ou bien en écrivant au siège à Rome.
CSF
Vous recevez aujourd’hui une grande partie de votre aide en nature. On dit souvent que l’aide en argent est beaucoup plus utile, pratique, et qu’elle évite les « pirateries ». Est-ce votre sentiment ?
CS
C’est exact : nous recevons encore aujourd’hui plus de 50% de notre aide en nature. Il est également exact que l’aide en argent est souvent plus utile que l’aide en nature. Mais ce qui compte le plus est comment l’aide est utilisée : une aide en nature, ciblée sur les bénéficiaires les plus vulnérables est plus utile qu’une aide en nature monétisée (ce que le PAM ne fait jamais). Une aide en nature peut être disponible, comme cela s’est passé au moment du tsunami, plus rapidement qu’une aide en argent (il faut compter trois mois pour gérer de bout en bout l’appel d’offre, l’acheminement et la distribution). Ce qui est sûr, c’est que de nombreux pays qui donnent leur aide en nature n’auraient pas les moyens de donner en argent des sommes nous permettant de secourir autant de bénéficiaires.
CSF
Quelles sont vos relations avec les ONG ? Comment s’établit votre collaboration ?
CS
Le PAM est partenaire de plus de 2 000 organisations non gouvernementales (ONG) locales et internationales pour distribuer son aide alimentaire sur le terrain. La coopération étroite avec ces ONG nous fait bénéficier de leur connaissance du terrain et d’un savoir technique qui se révèlent très précieux lorsqu’il s’agit de déterminer comment l’aide sera livrée à ceux qui en ont besoin.Concrètement, le PAM met à disposition des ONG présentes la nourriture et les moyens financiers nécessaires pour effectuer la distribution de proximité. Leur rôle est essentiel : quand il s’agit d’ONG locales, elles permettent de structurer le tissu social, et dans ce cas nous essayons de mettre en place des formations pour les aider à grandir. Quand au rôle des ONG internationales, en France, il n’est plus à décrire ! Nous venons d’ailleurs d’éditer un manuel à destination des ONG pour leur permettre de mieux travailler avec nous.
CSF
Quels sont vos principaux partenaires ? Existe-t-il une stratégie commune sur les programmes alimentaires ?
CS
Le PAM a une stratégie de coopération et une mission de coordination avec les gouvernements, les autres agences des Nations Unies, les organisations non gouvernementales (ONG) et des acteurs du secteur privé . Les gouvernements sont et demeurent nos principaux partenaires et nous consultons les autorités nationales et locales à tous les stades des processus de planification.En matière de stratégie, vous comprendrez qu’il est difficile de parler d’approche commune globale. Chaque pays, chaque crise est différente. Je préfère parler de méthodologies harmonieuses. Pour bien travailler ensemble, ONG, agences, et programmes des Nations Unies ont besoin de bien se connaître et de disposer de mécanismes de concertations et d’action cohérents car compatibles. C’est le sens de la réforme que les donateurs et l’ONU ont entreprise et qu’il faut voir comme un processus de perpétuelle remise en cause, une recherche constante d’amélioration qui n’est pas simple à gérer car c’est une dimension nouvelle de toutes nos actions que nous devons construire, intégrer et faire évoluer en même temps !
Il faut aussi rappeler que toute évaluation de crise alimentaire est faite depuis de très nombreuses années conjointement par le PAM et la FAO et que les enquêtes nutritionnelles sont traditionnellement élaborées par le PAM et l’UNICEF ou le PAM et le HCR avec le plus souvent le concours d’ONG internationales.
CSF
Le Directeur Exécutif du PAM des Nations Unies, James Morris, a déclaré que l’année 2005 a été la plus catastrophique depuis la seconde guerre mondiale : le Tsunami, les criquets du Niger, le Darfour, l’ouragan Katrina, le tremblement de terre du Cachemire : un enchaînement terrible de catastrophes. Les médias nous « habituent » à ces catastrophes qui perdent de leur exception. Les associations souffrent-elles de cette banalisation du traumatisme, de l’urgence dans leurs appels aux dons ? Comment maintenir l’élan de générosité ?
CS
Je ne crois pas qu’il faille réduire la relation donateurs / organismes caritatifs ou de solidarité à une relation ponctuelle. Au-delà de l’argent, il y a la conscience nécessaire de chaque citoyen que le malheur des uns fait le malheur des autres, que nous vivons tous sur une même planète et que la générosité à l’occasion d’une catastrophe ne peut être réduite à un élan du cœur mais doit être vue comme une nécessité, presque même un réflexe de survie de l’espèce humaine. Cela s’apprend, se construit et, évidemment, prend du temps.Si nous restons dans le scénario actuel, nous serons vite dépassés par l’impression de l’inefficacité de l’expression de notre générosité face à l’immensité de la tâche. Aujourd’hui, nous savons que l’effet de serre produira des catastrophes naturelles de plus en plus graves et nombreuses. Sans tomber dans le catastrophisme, il faut penser à modifier nos modes de fonctionnement et, donc, nos relations avec les donateurs. Nous devons aussi penser à recourir à de nouvelles formes de financement ; c’est pour cela que nous avons lancé une expérience pilote sur un système d’assurance contre la sécheresse en Ethiopie et que nous essayons de promouvoir une loterie humanitaire mondiale.
CSF
Vous êtes en train d’expérimenter un programme qui consiste à fournir une assurance famine aux populations vulnérables vivant dans des régions prédisposées à la sécheresse. En quoi consiste-t-elle ?
CS
L’entreprise française de réassurance AXA-Ré a remporté l’appel d’offre le 6 mars dernier, relatif au premier contrat historique d’assurance en cas de sécheresse. Le contrat consiste à indemniser à hauteur de 7 millions de dollars les agriculteurs éthiopiens en cas d’une extrême sècheresse durant la saison agricole 2006. Cette phase pilote touche 60 000 foyers mais à terme 17 millions d’Ethiopiens pourraient bénéficier de ce programme si son évaluation à la fin de l’année s’avère positive. Dans le futur, de tels contrats permettraient d’assurer les pertes massives de millions d’agriculteurs avant qu’ils n’entrent dans le dénuement le plus total, comme c’est le cas aujourd’hui pour 6 millions de personnes dans la Corne de l’Afrique. La prime d’assurance du contrat pilote de 910 000 dollars a été payée par le Danemark et les Etats-Unis.
CSF
L’Afrique est le continent le plus sévèrement touché par la faim. Désormais même l’Afrique australe est concernée, alors qu’elle était considérée comme le grenier africain. Comment expliquer un tel désastre ?
CS
L’Afrique australe est touchée depuis de nombreuses années par des phénomènes récurrents comme par exemple à El Nino. Mais jusqu’en 2001-2002, elle avait pu y faire face avec les programmes d’accompagnement et surtout grâce à ses propres moyens. Trois choses ont fondamentalement changé la donne :La crise politique et économique du Zimbabwe : nous achetions de grandes quantités de maïs dans ce pays. Aujourd’hui, nous devons l’aider.
Le sida : l’Afrique Australe est la partie du continent la plus touchée par le SIDA. Le nombre d’orphelins est impressionnant avec comme corollaire dans de nombreux pays un recul des cultures faute de paysans car la population adulte est décimée par la maladie.
Enfin, les conditions climatiques se modifient et les crises de sécheresse se multiplient.
CSF
Comment sensibiliser le public et les médias à ces crises alimentaires qui ne revêtent pas le caractère spectaculaire des catastrophes naturelles ?
CS
On en revient un peu au parcours que nous devons tous faire pour aider à modifier l’approche des donateurs. Dit-on assez aux donateurs qu’un don non affecté ou fait tôt dans la crise à une efficacité de 20 voire 30% supérieur à celui récolté à mi-crise ou en fin de programme ? Dit-on assez que la gestion d’une crise sur fonds déjà existants coûte beaucoup moins cher et évite beaucoup d’enkystement de problèmes qui obéreront sur le long terme le développement de certain pays ? Dit-on aussi que 80% des victimes de la faim vivent dans des pays en paix mais simplement très pauvres ?
CSF
Le joueur de football mondialement connu, Ronaldinho, est votre ambassadeur. Quel est son rôle ? Comment ce dernier soutient-il vos actions ?
CS
Ronaldinho joue un rôle crucial dans notre action, notamment dans la crise qui secoue le Guatémala depuis le passage du cyclone Stan. Il est en très actif pour aider le PAM en sensibilisant l’opinion publique sur les désastres qu’a causés le cyclone. Ronaldinho est le héros des favelas et a grandi dans un quartier pauvre de Porto Alegre, dans le sud du pays : il est donc à nos yeux une des personnalités les plus à même pour parler au nom des enfants pauvres qui souffrent de la faim et nous le remercions de mettre sa notoriété au service des missions du PAM.
CSF
Vous avez mis en place un programme « Vivres-contre-travail » dans certains pays. Quels sont les résultats de ce projet qui consiste à rémunérer en nourriture les travailleurs qui construisent des infrastructures indispensables ? Est-ce une solution efficace pour sortir du cercle infernal de la faim ?
CS
Le programme « Vivres-contre-Travail » s’inscrit dans les activités de développement du PAM qui visent à assurer une sécurité alimentaire aux populations touchées par la faim qui peuvent alors consacrer leur temps, leur attention et leur travail à se sortir du cercle vicieux de la pauvreté. Les projets « Vivres-contre-Travail » permettent de rémunérer les travailleurs en produits alimentaires pour qu’ils participent à la construction de routes, ports, hôpitaux, écoles, lancent de petites entreprises ou reconstituent les forêts dégradées.
Le programme « Vivres-contre-Travail » permet aux personnes qui en bénéficient de ne pas se préoccuper de leur alimentation quotidienne et de celle de leurs familles et ainsi de pouvoir concentrer leur énergie sur des projets structurants qu’il s’agisse de formation ou de petites infrastructures.
CSF
Vous mettez en évidence le rapport entre la faim et la propagation du VIH. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?
CS
Dans les régions pauvres, l’alimentation est toujours la première nécessité et c’est d’autant plus vrai pour celles touchées par le VIH/SIDA. Une alimentation saine ne guérit pas mais elle est un accompagnement indispensable de la distribution des médicaments qui se met en œuvre par le biais du Fond Mondial Thérapeutique. Elle peut contribuer à prolonger la vie des personnes infectées. Les enseignants peuvent continuer d’enseigner, les agriculteurs de cultiver et les parents peuvent continuer à élever leurs enfants. L’Aide Alimentaire vient hélas pallier dans de nombreux cas le vide laissé par les morts de personnes actives, notamment paysans, qui se traduit pas un déclin notable des productions.
CSF
Quelles sont vos implications face au désastre annoncé de l’accès à l’eau des populations démunies ?
CS
L’eau est fondamentale dans le développement des sociétés. Mais il n’entre pas dans le mandat du PAM de traiter l’eau et l’assainissement. Nous le faisons dans certains pays mais essayons le plus souvent de travailler sur ces sujets en coordination étroite avec les gouvernements, l’Unicef, le CICR ou les ONG. Nous avons pour priorité de mener à bien le cœur de notre mandat : nourrir et acheminer les vivres. En 2005, nous avons nourri plus de 110 millions de personnes à travers le monde. Et il reste encore 300 à 400 millions de personnes que nous voulons aider.
CSF
Qu’est ce qui vous révolte le plus aujourd’hui ?
CS
Ce qui me révolte le plus aujourd’hui ce sont tous les talents gâchés, toutes les vies démolies ou amoindries par manque de nourriture, d’éducation, d’eau alors que le monde produit globalement suffisamment pour couvrir tous les besoins de la population mondiale.Ce qui me révolte ce sont toutes ces petites filles qui ne vont pas à l’école et qui parfois n’ont même pas d’état civil ; elles n’existent tout simplement pas. Ce qui me révolte c’est que l’espérance de vie en Afrique australe diminue chaque jour davantage à cause du sida. Ce qui me révolte enfin c’est que le malheur de la moitié de l’humanité ne soit mentionné que lorsque les catastrophes qui les atteignent sont spectaculaires alors que 80% des victimes de la faim ne sont pas dans des contextes de guerre, d’instabilité politique ou de catastrophes naturelles. Ce sont des Tsunamis silencieux et ce silence est assourdissant.
CSF
Et ce qui vous satisfait ?
CS
Au mot satisfaction, je préfèrerais celui d’encouragement. Notre métier nous fait hélas souvent jouer aux pompiers : colmater, endiguer, réparer les crises est le lot quotidien de mes collègues sur le terrain. Ce qui m’encourage c’est par exemple cette école du Mali où il y a aujourd’hui plus de filles inscrites que de garçons. Ce qui m’encourage aussi c’est que dans les dix dernières années le PAM a pu fermer de nombreux programmes. Ce qui m’encourage enfin ce sont les manifestations de solidarité et d’intérêt pour notre travail qui se multiplient et qui sont beaucoup plus fortes que par le passé.