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Retour sur le témoignage de Jacques Seguela, 2003.
« Quelle que soit la Cause, la pire des manipulations est la vulgarité ou la provocation sans fondement »
A 20 ans, Jacques Séguéla lance la mode des raids en 2cv. Il rallie Perpignan à Karachi en 30 jours. A 25 ans, il est Docteur en Pharmacie. Pour ce bouillonnant touche-à-tout, c’est une fausse route. Il change d’itinéraire et réussit le premier tour du monde d’une voiture française. Un livre : La terre en rond, un premier succès : 120 000 exemplaires. Ainsi commence la course effrénée qui va le sacrer premier publicitaire de France.
A 30 ans, étape de départ : PARIS MATCH. Il est reporter deux ans. Deuxième étape : FRANCE SOIR. Deux ans plus tard, Pierre Lazareff le nomme rédacteur en chef. Tout autre aurait crié victoire. J.Séguéla sonne l’adieu au journalisme. Il choisit la pub et recommence au bas de l’échelle dans l’agence « in » de l’époque. Il la rachètera moins de dix ans plus tard.
A 35 ans, il s’associe avec Bernard Roux. ROUX SEGUELA est née. La première annonce de l’agence montre le Président Pompidou barrant un moteur Mercury. Résultat : saisie de L’Express et démarrage en flèche. Successivement, Alain Cayzac, puis Jean Michel Goudard, viendront les rejoindre.
A 40 ans, c’est l’explosion : le lancement des Produits libres de Carrefour, jugé à l’époque par le public la meilleure publicité de ces trente dernières années (sondage IFOP).
L’année suivante J. Séguéla réalise simultanément pour la même élection les affiches de F.Mitterrand, J.Chirac et V. Giscard d’Estaing. Personne ne moufte. Le marketing politique n’est pas encore une mode.
A 45 ans, parution du premier livre sur son métier : « Ne dites pas à ma mère que je suis dans la publicité, elle me croit pianiste dans un bordel » ; une autobiographie mais aussi une love-story de la pub. La suite et fin de l’aventure est titrée « Hollywood lave plus blanc ». C’est le discours de la méthode. Les campagnes s’enchaînent et les succès aussi : Citroën et les Chevrons sauvages, Dunlop et son célèbre love-torture-test, Carte Noire le café nommé Désir, Woolite et ses stars. L’année suivante, d’un coup de « Force tranquille », Jacques Séguéla fait entrer la publicité dans l’Histoire de France. François Mitterrand est Président de la France et l’enfant terrible de la pub française devient son leader. Il récidivera un septennat plus tard.
A 50 ans, il sort « Fils de pub », qui sera suivi de « Demain il sera trop star » en 1988 et « C’est gai la pub » en 1990. Les ouvrages du fils de pub sont maintenant traduits en dix langues, turc et japonais compris. C’est aussi le temps de ses campagnes de l’Est, il va en Bulgarie aider Gelio Gelev, en Hongrie Joseph Antall. Enfin en Autriche Franz Vranitzky. Les campagnes Club Med, cette plus belle idée depuis l’invention du bonheur, Vuitton l’âme du voyage et encore et toujours Citroën en tête de tous les hits parades créatifs. Chaque année additionne aussi un nouveau livre : « L’argent n’a pas d’idées, seules les idées font de l’argent », puis la première histoire de la pub mondiale « Pub story », paru en novembre 94 et suivi en janvier 95 d’une analyse de la communication des 14 années mitterrandiennes au titre médiatico-biblique de « La parole de Dieu ».
Mais avant tout, cette dernière décennie sera celle de l’internationalisation. RSCG s’implante dans toutes les capitales européennes et aux Etats-Unis. En 1991, c’est la fusion du 3ème groupe français RSCG, en difficultés financières, avec le 1er, EUROCOM, pour constituer la 1ère agence française et la 1ère européenne : EURO RSCG, dont il devient le Vice Président mondial.
A 60 ans il signe avec Aleksander Kwasniewski en Pologne sa 8ème campagne présidentielle contre Lech Walesa et sa huitième victoire consécutive. En 1996 se crée la holding HAVAS ADVERTISING dont Jacques Séguéla en est le Chief Creative Officer et le Vice-Président. En 1999, c’est un nouvel album consacré à la marque de sa vie : « Citroën, 80 ans de pub et toujours 20 ans ».
En 2000, c’est le rachat de SNYDER, le 11ème groupe américain qui propulse Havas au 4ème rang mondial avec 320 filiales dans 75 pays, 20 000 personnes et un chiffre d’affaires de 100 milliards de FF.
Sans renier ses amours pour la publicité politique, après celle de Lionel Jospin et puis de Ehud Barak, il commence l’année 2000 par une nouvelle victoire : Ricardo Lagos au Chili qui sera suivi de celles de Aleksander Kwasniewski en Pologne et Janesz Drnovsek en Slovénie et publie son 17ème ouvrage : « Le vertige des urnes » qui relate ses campagnes présidentielles aux quatre coins de la planète.
En 2001, il publie son 18ème livre, « JobGuide » dédié aux jeunes et sur les métiers de demain.
Aujourd’hui il a 70 ans, « la vie commence », dit-il.
Communication Sans Frontières®
Comment appréhendez-vous les années qui viennent en terme de responsabilisation citoyenne et sociétale des marques ?
Jacques Séguéla
La société de consommation est sur la sellette et donc sa face émergée de l’iceberg, la pub. Ou nous saurons dans les années qui viennent, lui donner plus d’éthique, plus de densité, plus de citoyenneté ou la fêlure sera irréversible. Aux marques et à leurs campagnes de s’engager dans la défense des valeurs sociétales et des grands combats de l’humanité : la lutte contre la misère, la faim, la pollution, la qualité de l’eau, la déforestation.
CSF
La communication est désormais au centre de débats contradictoires sur la place publique. Une publiphobie radicale est apparue parallèlement à une certaine défiance face à l’information Pensez vous que ces tendances soient seulement des mouvements d’humeur dans un monde où les tempêtes médiatiques se déclanchent à la moindre dépression ou qu’elles s’inscrivent dans un mouvement de fond durable dont les communicants doivent impérativement tenir compte ?
JS
Contrairement à l’idée reçue les Français ne sont pas publiphobes. Ils étaient 10 % en 1970, ils seraient selon un récent sondage 13 % aujourd’hui. Qu’importe le mouvement des anti-pubs n’est pas un geste d’humeur, mais un geste de survie d’une société Française en pleine sinistrose qui se cherche un avenir et une identité. Pour nous ne pas le prendre en compte serait suicidaire.
CSF
Les associations de solidarité ne sont pas hors jeux des phénomènes médiatiques, elles peuvent en être même des « victimes » ou des « bourreaux ». Elles deviennent pour certaines des références mondiales dans la préservation des valeurs humaines, sociales et environnementales. Peuvent-elles appliquer les mêmes mécanismes de communication que les entreprises traditionnelles sans risque de dévoiement ?
JS
Il n’y a pas de pub de grandes causes et de pub de grande consommation. Il y a 2 pubs. La bonne et la mauvaise. L’imaginative, la novatrice, la différente d’un bord, la banale, la simplette, l’archaïque de l’autre. Choisir cette dernière rive pour défendre une grande cause est une double faute. Professionnelle et Humaine
CSF
Pensez-vous que les « marques » du secteur non marchand soient exposées aux mêmes phénomènes de conflit, de boycottage ou de concurrence que les marques du secteur marchand ?
JS
Les marques non-marchandes bénéficient, et c’est normal, d’une protection contre les attaques alter mondialistes, mais leurs surenchères parfois, leur banalité souvent, leur multiplication toujours, risquent un jour de les mettre dans le même panier du rejet.
CSF
Comment les publicitaires et gens des médias peuvent inscrire leur travail dans une démarche citoyenne plus visible et mieux comprise du grand public ?
JS
En prenant conscience de la nécessité d’utiliser l’arme de la pub à créer un monde meilleur par ces temps de doute, de scandales, de tensions, de guerre.
Dès lors, c’est à la conscience de chaque communicant de se mobiliser. Le grand public le suivra comme il l’a toujours fait, même si, de la pub il aime le meilleur et des médias le pire.
CSF
Pensez vous que les agences de communication puissent à la fois conseiller simultanément des groupes industriels et une ONG dont les activités seraient contradictoires ?
JS
La première des éthiques est de croire en la cause que l’on défend. Dès lors comment vanter tout et son contraire. Et ces combats ne sont pas des combats d’agences mais de personnes qui vivent à l’intérieur d’agences. Ainsi peut-on voir cohabiter dans une agence un double langage. Selon que l’une a travaillé pour un camp et l’autre pour le camp opposé. Cela s’appelle la Démocratie
CSF
La création a-t-elle tous les droits même quand il s’agit de défendre une cause humaine ?
JS
Quelle que soit la cause, la pire des manipulations est la vulgarité ou la provocation sans fondement. Mais les causes humaines doivent appeler un chat un chat et un mort un mort. Sans cet hyper réalisme, le message ne touche plus et ici plus que nulle part ailleurs il y a nécessité de concerner. Les campagnes humanitaires ne sont donc pas faciles à concevoir. Il y faut oser sans choquer et surprendre est un art difficile.
CSF
Vous avez introduit le « star system » dans la publicité en France. La « star stratégie » recueille, près de 20 ans après, un intérêt certain auprès des acteurs du monde solidaire. Quand pensez-vous ?
JS
Il y a erreur de définition. La star stratégie n’est pas l’utilisation des stars dans la pub mais la nécessité pour toute campagne de faire de son produit une star. L’emploi d’une personnalité n’est donc que l’espérance d’un supplément d’impact. A la condition qu’il n’y ait pas vampirisation du message par la vedette.
CSF
Quelles conditions les publicitaires pourraient s’auto appliquer afin que la modification de la loi Evin, la relation avec les enfants en particulier au sein des écoles et à la télévision n’aillent pas à contre sens de l’intérêt collectif ?
JS
L’auto censure est la meilleure des censures car elle est voulue et non forcée. C’est donc à l’ensemble de notre profession, mais aussi à celle des médias, de ne jamais oublier que nous offrons aux lecteurs, aux auditeurs, aux téléspectateurs, un message imposé.
Dès lors comment accepter qu’il puisse nuire aux consommateurs et plus encore aux enfants. Je n’ai jamais laissé publier une campagne qui pourrait choquer un de mes enfants. J’ai la chance d’en avoir 5. C’est presque déjà un panel.
CSF
Vous travaillez pour des modifications substantielles du droit à la communication politique dans notre pays. Pouvez vous nous dire ce que vous souhaiteriez ?
JS
Que la France qui est le seul pays du monde où la pub politique est interdite devienne adulte et l’autorise dans des limites très strictes de quantité et de qualité :Quantité : En limitant les investissements pour ne pas arriver au monstrueux gâchis des campagnes présidentielles américaines. En rendant ces investissements égalitaires, donc pris en charge par l’Etat, afin que chaque parti ait les mêmes temps de paroles publicitaires.
Qualité : En interdisant les campagnes négatives qui font la joie des Américains et la honte de la démocratie.