Code de conduite « Images et Messages » ayant trait au Tiers Monde
Ce code a été rédigé pour les ONG européennes qui sont les acteurs ou partenaires dans le processus de développement global. Son but est d’inciter une discussion sur les images et messages et d’encourager les ONG européennes à un examen de leur propre matériel.
Il a été adopté lors de l’Assemblée Générale du Comité de Liaison des ONG européennes auprès de la CE en 1989. Il nous est apparu intéressant de le remettre en perspective par rapport aux dernières campagnes médiatiques humanitaires.
PRÉAMBULE
Depuis ces dix dernières années, le public européen a été régulièrement noyé sous une masse d’informations et d’images poignantes sur la situation d’urgence qui existe dans certains pays du Tiers Monde. Il a dû absorber diverses interprétations de la situation et a été l’objet d’appels pressants, exprimés surtout en termes de charité, en vue d’aider les populations en difficulté. Si cette campagne a indéniablement permis de sauver un grand nombre de vies humaines, elle a également influencé l’idée que les Européens se font du Tiers Monde, de ses problèmes et de leurs solutions possibles, ainsi que de leurs propres relations avec ces pays.
Si la charge émotionnelle de l’image, les vertus lapidaires du slogan et l’efficacité temporaire de leur juxtaposition font du cinéma, de la télévision, de l’affiche, du périodique, -vecteurs tout désignés pour attirer l’attention du public-, ce type de communication privilégiant le sensationnel risque de négliger le problème fondamental moins spectaculaire et d’occulter la face positive des choses.
Ceci est devenu un facteur déterminant dans la collaboration future Europe/Tiers Monde, car certaines images ou messages, diffusés par les media ou les ONG elles-mêmes, peuvent porter préjudice au travail des organisations de coopération au développement. En effet, la qualité de la coopération et de toute solidarité avec les pays du Tiers Monde repose essentiellement sur ces images et messages produits en direction du public, objet du travail de sensibilisation mené par les ONG.
Les résultats d’un long travail de recherche mené par plusieurs ONG européennes et africaines dans le cadre du projet « Images d’Afrique », ainsi qu’une récente enquête cofinancée par la Commission des Communautés européennes et intitulée « Les Européens et l’aide au développement en 1987 », révèlent de façon significative une méconnaissance profonde des réalités. Ainsi, le Tiers Monde reste pour la majorité des Européens un fournisseur de matières premières (63 %) et une source de débouchés pour nos produits (59 %). Pour un Européen sur deux, la raison essentielle de nos relations avec le Tiers Monde s’articule autour de son besoin de l’aide des pays riches. Le sondage montre également que l’opinion publique européenne porte un intérêt soutenu à l’information donnée par les média sur le Tiers Monde.
L’établissement d’un Code de conduite régissant les images et messages à propos du Tiers Monde s’impose donc comme une nécessité.
INTRODUCTION
Objectifs de l’Education au Développement
L’Education au Développement donne lieu à des interprétations très diverses et souvent ambiguës, vu le nombre de domaines traités Les frontières autour de ce concept sont déterminées à la fois par notre perception du développement, notre analyse des changements sociaux, et nos convictions idéologiques et philosophiques.
Il ne s’agit pas ici de donner une définition unique qui cernerait les contours exacts du terme, mais il importe néanmoins d’avoir à l’esprit les objectifs fondamentaux de l’Education au Développement à ne jamais perdre de vue lors de la production de messages et d’images destinés au public :
- Promouvoir la prise de conscience de la problématique du développement : compréhension des causes et des solutions, de l’interdépendance et de la réciprocité pour une meilleure connaissance mutuelle;
- Accroître la volonté de participation de tous au débat pour soutenir une politique de véritable coopération politique, économique et culturelle;
- Intensifier la solidarité entre les peuples avec tous les partenaires possibles, par une meilleure connaissance réciproque;
- Renforcer l’engagement des ONG, des Etats et de la CE pour des changements structurels en faveur des plus déshérités.
Pour atteindre ces objectifs, l’Education au Développement doit être un domaine intégré aux tâches statutaires de toute institution de développement; ses objectifs et leur réalisation étant fixés dans les statuts.
Objectifs généraux du Code de Conduite
- Ce Code est à fois un défi lancé aux ONG européennes et un guide. Il devrait inspirer les différents acteurs et partenaires désireux de faire progresser la coopération et les inciter à un examen de leur production vis-à-vis du Tiers Monde en supprimant les images réductrices, misérabilistes ou idylliques.
- Il invite notamment les ONG engagées dans des collectes de fonds à mieux adapter leurs appels lancés au public.
- C’est un instrument de référence aidant les ONG à renforcer la solidarité du mouvement associatif, sa cohérence et sa force.
- Il est recommandé à la Commission des Communautés européennes, de prendre en considération ce Code dans sa coopération avec les ONG européennes.
Les ONG et les collectes de fonds
Il existe différents systèmes de collectes de fonds utilisés par les ONG du Nord. Citons entre autres, les grandes campagnes annuelles, les campagnes thématiques et les actions d’urgence. Les moyens utilisés peuvent aller du mailing destiné à un public déjà motivé, en passant par les affiches et la vente de matériel (livres, cartes de voux, dossiers, artisanat, etc.).
Bon nombre de messages et d’images sont diffusés par les ONG. Or, la publicité des collectes de fonds est étroitement liée à la conception personnelle qu’en a chaque institution et détermine le type d’images projetées vers le public.
Chaque ONG doit décider quel est le meilleur système à adopter, en s’assurant que la méthode employée et le contenu des messages utilisés par elle-même, ses partenaires ou ses « sponsors », ne projettent une impression de dépendance et d’assistanat.
Les ONG doivent éviter les messages suivants :
- Les images qui généralisent et cachent la diversité des situations;
- Les images idylliques (qui refusent de reconnaître la réalité telle qu’elle est vraiment, même si elle n’est pas toujours belle à avouer) ou « aventures » et exotiques;
- Les images accusatrices (préjugés);
- Les images soulignant la supériorité du Nord;
- Les images misérabilistes ou pathétiques.
CODE DE CONDUITE
Nous, ONG de développement établies dans les Etats membres de la Communauté européenne et représentant une variété d’associations humanitaires sans but lucratif, engagées dans des activités visant à soutenir un processus de développement dans le Sud et à remédier au mal-développement dans le Nord, adoptons ce Code de conduite qui se veut un guide dans notre travail quotidien, un instrument visant à améliorer les projections que les pays du Nord font habituellement à propos des plus pauvres du monde.
Ce Code appelle les ONG européennes à :
- Un examen de conscience de leur travail et une remise en question de leurs méthodes en dépassant les anciens concepts du « choc émotionnel » et de l’aide ponctuelle, et à développer une pédagogie appropriée en direction du public;
- S’unir entre elles et avec d’autres forces sociales, veiller à une meilleure circulation de l’information;
- Faire évoluer le contenu des messages d’appels d’urgence afin d’éviter qu’ils ne réduisent à néant le travail d’Education au Développement qui exige des efforts à long terme;
- Assurer une formation adéquate des membres de leur personnel, responsables de la production du matériel d’information, et rechercher des spécialistes qui peuvent les conseiller;
- Mais surtout, donner une voix au Tiers Monde dans l’élaboration des messages et images.
Dans le cadre de la coopération internationale au développement se fondant sur les principes de solidarité et de partage des ressources, la participation des partenaires du Sud dans les actions de sensibilisation de l’opinion publique est donc une condition nécessaire pour une diffusion correcte des messages et images. En 1989, on ne peut plus prétendre parler du Tiers Monde et en projeter des images sans consultation des acteurs concernés du Sud.
La situation est très complexe car la capacité de communication au Tiers Monde est très différente d’un pays à l’autre et d’une ONG à l’autre, elle peut être empêchée par les vestiges de la période coloniale ou par les effets de contrôle du système international de communication. Soit les media traditionnels ne réservent pas d’espace au Tiers Monde, soit ils le font dans une optique du Nord.
Les ONG doivent travailler pour :
- Garantir au Tiers Monde le droit à l’accès aux grands moyens de communication du Nord;
- Garantir la circulation des produits culturels du Tiers Monde dans nos pays, en dehors des filtres du marché;
- Encourager la capacité locale et autonome de production culturelle;
- Améliorer le courant de personnes qui s’opère dans les deux sens; demander plus souvent et plus explicitement aux ressortissants des pays du Tiers Monde invités à coopérer avec nous, de nous faire part de leurs connaissances et expériences.
La véritable solidarité ne saurait s’exercer à sens unique. N’est-il pas prétentieux de vouloir résoudre seuls les problèmes de développement du Sud, alors que notre société souffre elle-même d’un mal-développement généralisé ?
RECOMMANDATION
A la lumière des critères énoncés ci-dessus, les ONG européennes s’engagent à revoir leur matériel d’Education au Développement, ainsi que le contenu des messages diffusés qui, de façon générale, doivent veiller à mieux faire comprendre :
- Le réalités et complexités des pays du Tiers Monde dans leur contexte historique;
- Les obstacles particuliers auxquels se heurte le développement;
- La diversité des situations qui caractérise ces pays;
- Les efforts propres déployés;
- Et les progrès réalisés.
RÈGLES PRATIQUES
Eviter les images catastrophes ou idylliques qui incitent plus à la charité limitée aux frontières de la bonne conscience qu’à la réflexion.
Toute personne doit être présentée comme un être humain et des informations suffisantes permettant de cerner son environnement social, culturel et économique doivent être présentées afin de préserver son identité culturelle et sa dignité. La culture doit être présentée comme un levier du développement des peuples du Tiers Monde.
Les témoignages des personnes intéressées doivent être utilisés plutôt que les interprétations d’un tiers.
La capacité des gens à se prendre en charge doit être mise en relief.
Le message doit être conçu de façon à éviter toute globalisation et généralisation dans l’esprit du public.
Les obstacles internes et externes au développe ment doivent apparaître clairement.
La dimension de l’interdépendance et la notion de co-responsabilité dans le mal – développement sont à souligner.
Les causes de la misère (politiques, structurelles, naturelles) doivent être exposées dans le message qui doit amener le public à découvrir l’histoire et la situation réelle du Tiers Monde, ainsi que les réalités profondes des structures de ces pays avant la colonisation. Conscients du passé, il faut partir de la réalité d’aujourd’hui et voir ce qui peut être fait pour supprimer les conditions d’extrême pauvreté et d’oppression. Il faut souligner les problèmes de pouvoir et d’intérêts et dénoncer les moyens d’oppression ainsi que les injustices.
Le message doit veiller à éviter toute sorte de discrimination (raciale, sexuelle, culturelle, religieuse, socio-économique,.).
La description de nos partenaires du Tiers Monde comme dépendants, pauvres, sans pouvoir, s’applique d’autant plus aux femmes qui sont davantage présentées comme des victimes dépendantes ou, pire encore, sont complètement oubliées dans le tableau. L’amélioration des images, utilisées dans le matériel éducatif sur le Tiers Monde en général, passe aussi par le changement des images projetées sur les femmes au Tiers Monde.
Les partenaires du Sud doivent être consultés pour l’élaboration de tout message.
Lorsqu’une ONG, dans le cadre d’une collecte de fonds, fait appel à d’autres partenaires (institutions, organisations ou entreprises privées), elle doit veiller à ce que les recommandations du présent Code soient respectées de toutes parts. Il se rait opportun de faire mention du Code dans le(s) contrat(s) de sponsoring conclu(s) entre l’ONG et son/ses partenaire(s).
CONCLUSION
L’information au quotidien parle du Tiers Monde d’une façon trop souvent partielle et partiale, où les peuples affamés semblent victimes immuables de leur sort. Il convient de dépasser ce fatalisme en apportant une information plus proche de la réalité et plus complète, qui permette une prise de conscience de la valeur intrinsèque de toutes les civilisations, des limites de notre propre système et de la nécessité d’un développement plus universel, respectueux de la justice, de la paix et de l’environnement. Ceci détermine la tâche des ONG qui doivent offrir au public une information véridique, objective, respectant la valeur humaine des personnes représentées, mais aussi l’intelligence du public lui-même.
Ce Code est adopté par l’Assemblée Générale des ONG européennes de développement réunies à Bruxelles en avril 1989, comme ligne de conduite pour les ONG. Le groupe de travail Education au développement du Comité de Liaison est chargé d’élaborer un programme de mise en oeuvre et de suivi pour une utilisation plus générale.
Cercle de Coopération des ONG de développement http://www.cercle.lu
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