Droits à la communication : le point de vue du Professeur Cees Hamelink
Droits à la communication : le point de vue du Professeur Cees Hamelink qui s’était exprimé lors du Forum mondial sur les droits à la communication à Genève vise à rassembler sous l’égide des « droits à la communication » un nombre de droits humains liés à l’information et à la communication.
Point de vue et contexte
La communication joue un rôle central dans la vie politique, économique et culturelle des sociétés de par le monde. Les technologies de l’information et de la communication, associées à la volonté politique de mettre en pratique les droits à la communication, peuvent fournir de nouvelles perspectives vitales en matière d’interaction politique, de développement socio-économique et de durabilité culturelle. Pour y parvenir, l’accès universel de tous aux moyens de communication et d’information ainsi qu’à une diversité de médias à travers le monde est nécessaire.
La communication est un processus social fondamental. Elle est à l’origine de toute organisation sociale. Communiquer, c’est bien plus que simplement transmettre un message.
La communication, c’est l’interaction humaine entre individus et groupes, au travers de laquelle se forgent des identités et des sens. Les droits à la communication reposent sur un idéal de libre-échange des informations et des idées, interactif, égalitaire, non discriminatoire et motivé par les besoins de l’Homme, plutôt que par des intérêts politiques ou commerciaux. Ces droits sont l’expression du désir des hommes pour la liberté, l’inclusivité, la diversité et la participation au processus de communication. Notre vision des droits à la communication repose sur la reconnaissance de la dignité inhérente à chaque individu et des droits inaliénables et identiques pour tous.
Tout en constatant le grand potentiel de la communication dans les sociétés contemporaines, nous attirons également l’attention sur certains des problèmes soulevés par la reconnaissance complète des droits à la communication. Le problème du contrôle et de l’intervention politique face à la liberté d’expression reste une préoccupation essentielle. Allant de pair avec la saturation médiatique, il existe une dépendance aux médias pour savoir ce qui se passe dans le monde; cette dépendance s’accroît en période de conflits armés. Parallèlement, l’influence de la propagande et de la censure n’a jamais été aussi étendue.
La communication est devenue un grand marché mondial. Nombre de produits et services qui en sont issus le sont à des fins commerciales et non dans l’intérêt général. Le marché mondial des médias est en grande partie contrôlé par un petit nombre de conglomérats géants qui mettent à mal la diversité et l’indépendance des courants d’information. Cette menace pour la diversité est amplifiée par les tendances actuelles des négociations commerciales internationales qui tendent à assujettir la « culture » aux mêmes règles que celles appliquées aux matières premières et à ébranler la culture, le savoir et l’héritage indigènes. D’un autre côté, les régimes stricts de propriété intellectuelle créent une rétention d’informations et posent de sérieux obstacles à l’émergence de sociétés « instruites ».
Le fait que de nombreuses personnes soient privées de procédures politiques démocratiques, dues à un manque de moyens de participation efficaces, est un défi supplémentaire aux droits à la communication. Ce problème est accentué par la progression des réseaux de surveillance 24h/24 qui contrôlent et interceptent les communications au nom de la sécurité mais dont on abuse presque mondialement.
Les nouvelles technologies alliées à une meilleure compréhension des droits à la communication ont la force de rendre l’information et le savoir plus facilement accessibles au plus grand nombre, partout dans le monde, et peuvent transformer les processus sociaux et politiques. Il reste pourtant encore beaucoup à faire avant que ceci ne devienne réalité. La communication mondiale est loin d’être universelle, si l’on compte toutes les personnes qui n’ont, aujourd’hui, toujours pas d’accès digne de ce nom à la communication, à l’information et aux médias.
Les Droits à la communication
En adoptant la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, la communauté internationale reconnaissait la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine en leur attribuant des droits identiques et inaliénables.
Les droits à la communication sont intrinsèquement liés à la condition humaine et reposent sur une compréhension nouvelle, plus profonde, de l’implication des droits de l’homme et du rôle des communications. Sans les droits à la communication, les êtres humains ne peuvent pas vivre en liberté, dans un monde juste, en paix et dans la dignité.
C’est la reconnaissance de ce besoin humain universel qui nous a inspiré la rédaction de ce manifeste sur les droits à la communication, basés sur les principes-clés de Liberté, d’ Inclusivité, de Diversité et de Participation.*
Liberté
L’essence des droits à la communication est contenue dans l’Article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui proclame : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen que ce soit. » Cette liberté fondamentale est également reconnue par le Pacte international relatifs aux droits civils et politiques (Article 19), dans d’autres traités des Nations Unies tel que la Convention relative aux droits de l’enfant (Article 13) et dans les trois principaux actes régionaux des Droits de l’Homme (l’Afrique, les Amériques et l’Europe).
Malgré ces garanties, la censure reste une réalité en ce début du XXIème siècle. Des pressions politiques et commerciales sont plus que jamais exercées sur le journalisme indépendant et la liberté d’expression sur Internet est sérieusement mise en danger dans de nombreuses parties du monde. Le droit à la liberté d’expression est également de plus en plus menacé par les pouvoirs considérablement renforcés des autorités publiques du monde entier en matière de contrôle et d’interception des communications. Il est crucial que la communauté internationale adopte une réglementation et des mécanismes solides afin de garantir de manière efficace la confidentialité des communications privées.
Il est par conséquent urgent que nous réaffirmions l’engagement général en faveur de la protection de la liberté d’information et d’expression en tant que « pierre de touche de toutes les libertés à la défense desquelles se consacrent les Nations Unies » comme énoncé dans la Résolution 59 (I) de l’Assemblée Générale des Nations Unies adoptée lors de sa première session en 1946..
Inclusivité
Les traités internationaux des Droits de l’Homme comprennent de nombreuses clauses dans le but de garantir l’inclusivité tel que l’accès universel à l’information, au savoir et à l’éducation, la protection de la vie culturelle des communautés, et une répartition équitable des avancées scientifiques et technologiques.
Pourtant, dans la réalité mondiale actuelle, un grand nombre de personnes n’ont pas accès à des moyens de communication aussi élémentaires que le téléphone, la radio, la télévision et l’Internet. De la même façon, l’accès à l’information concernant des affaires d’intérêt général est également excessivement limité et très inégal entre les sociétés et en leur sein. Un véritable engagement en faveur du principe d’inclusivité nécessite que la communauté internationale ainsi que les gouvernements de chaque pays se mobilisent pour assurer une allocation de ressources matérielles et non-matérielles considérables permettant de venir à bout de tels obstacles.
Diversité
De par le monde, les formes existantes de diversité culturelle, informationnelle et linguistique sont sérieusement menacées. La diversité de cultures, de langages et de communication est aussi importante pour le développement durable de notre planète que la diversité naturelle et biologique de ce monde. Dans la communication, la diversité est cruciale à la démocratie et à la participation politique. Elle offre à chacun le droit de promouvoir, protéger et préserver son identité culturelle et de continuer à la développer librement.
La diversité est nécessaire à de nombreux niveaux, ce qui inclut de disposer d’un large éventail de sources d’information différentes, que les médias ne soient pas tous entre les mêmes mains et que les moyens d’accès aux médias soient divers de manière à ce que tous les secteurs et groupes soient entendus.
Participation
Les traités internationaux concernant les Droits de l’Homme insistent sur l’importance de la participation des personnes aux processus politiques, ce qui, du point de vue des droits à la communication, implique la prise en compte de l’avis de chacun. Dans un tel contexte, la participation paritaire des femmes ainsi que la participation des minorités et des groupes marginalisés est particulièrement importante. En politique, la communication est essentielle dans le processus de prise de décision. Les médias sont de plus en plus importants en politique moderne. Ceci devrait non pas empêcher mais au contraire encourager la participation des personnes au processus politique à travers le développement d’une gouvernance participative à tous les niveaux.
Vision et Réalité
Les droits à la communication restent pour la plupart des personnes dans le monde un idéal et une aspiration. Dans les faits, ils ne sont pas appliqués. Ces droits sont au contraire souvent et systématiquement bafoués. Les gouvernements doivent constamment être sommés de respecter les traités des droits de l’homme qu’ils ont ratifiés, les obligeant à appliquer, à promouvoir et à protéger les droits à la communication. Les droits à la communication sont l’expression de besoins fondamentaux. Une volonté politique ferme et l’allocation de ressources substantielles sont nécessaires à la satisfaction de ces besoins. Le manque d’engagement en faveur de ces ressources ne parvient qu’à accentuer la méfiance générale à l’égard des institutions politiques.
Parallèlement, l’application entière des droits à la communication ne peut uniquement reposer sur l’action gouvernementale. La société civile a un rôle-clé à jouer dans la défense de ces droits. Elle se doit de contrôler et de dénoncer les abus et a également une mission d’éducation et de popularisation de ces droits.
Toute personne soucieuse de son environnement a la tâche d’encourager les gens, de les aider à faire valoir ces droits, grâce à différents types d’action sociale, pour qu’ils les utilisent et réalisent ainsi l’énorme potentiel des anciennes et des nouvelles technologies de communication.
Nous approuvons ce manifeste comme l’expression de notre soutien aux droits à la communication et nous prenons en outre l’initiative de rédiger, avec le soutien le plus large possible, une Charte Internationale des Droits à la Communication afin de créer une référence commune que tout individu et tout organe de la société s’efforcera d’atteindre.
Genève, 11 décembre 2003
*Les références les plus significatives aux droits à la communication qu’on puisse trouver dans les divers actes internationaux au sujet des droits de l’Homme.
Sur le principe de liberté :
- Liberté d’expression :
- Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948), Article 19
- Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966), Article 19
- Convention relative aux droits de l’enfant (1989), Article 13
- Protection de la vie privée :
- Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948), Article 12
- Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966), Article 17
- Convention relative aux droits de l’enfant (1989), Article 16
- Sur le principe d’inclusivité :
- Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948), Articles 19, 21, 28
- Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966), Articles 13, 15
- Déclaration des principes de la coopération culturelle internationale (1966), Article IV (4)
- Sur le principe de diversité :
- Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966), Article 1 (1), 27
- Déclaration universelle sur la diversité culturelle (1995), Article 5
- Sur le principe de participation :
- Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (1948), Article 21, 27
- Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966), Article 25
Traduit par Françoise De Rynck