Elizabeth Pastore-Reiss « Les équipes marketing n’ont pas encore pris en compte les changements qui s’opèrent »
Fondatrice et actuellement directrice de Ethicity, agence spécialisée dans le conseil en Marketing et Développement Durable Ethique qui accompagne les entreprises dans l’élaboration de leur stratégie de développement durable jusque dans sa traduction produits/services et dans sa communication pour renforcer les liens avec leurs différents publics. Cofondatrice de Human Inside, une enseigne de commerce responsable.
Crée et préside de 1988 à 1999 la filiale marketing relationnel du groupe Publicis : Publicis Dialog. Dans ce cadre, est en charge de la collecte de Fonds d’ONG pendant plusieurs années.
Vice-présidente des agences marketing-communication de l’Association des Agences Conseil en Communication pendant 7 ans.
Intervenante dans de nombreux séminaires développement durable et auprès de plusieurs ONG Auteur du livre Le Marketing Durable (ed Eyrolles) et co-auteur de Le Marketing Éthique (Ed. Village Mondial 2004), de Business sous influence (Ed. d’Organisation) et de Communiquer sur le développement durable (Ed.d’Organisation)
Diplômée de l’Institut d’Études Politiques de Paris et de l’École Supérieure de Commerce de Rouen.
Communication Sans Frontières :
Vous êtes fondatrice d’Ethicity, pouvez-vous nous dire un mot sur cette agence pionnière dans le Développement Durable dans notre pays ?
Elisabeth Pastore Reiss :
Nous accompagnons les entreprises dans la mise en place de leur stratégie développement durable et dans la traduction de ces engagements auprès de tous leurs publics : fournisseurs, collaborateurs et mode de production avec une spécificité sur l’accompagnement dans la conception de nouvelles offres et de création de nouveaux rapports avec leurs clients afin de leur faire partager leur démarche.
CSF :
Il semble qu’en France le Développement Durable soit essentiellement associé aux problématiques environnementales, écologiques. Pouvez-vous nous préciser ce que recouvre ce terme en réalité?
EPR :
Les enjeux environnementaux sont certes essentiels : choix des matières premières, cycle de production, usage et fin de vie des produits mais les enjeux sociaux, sociétaux et économiques le sont aussi. Le développement durable pour une entreprise c’est réussir l’intégration au coeur du modèle économique de la prise en compte de ses enjeux . Cela suppose une vraie volonté et des engagements forts.
CSF :
Le Grenelle de l’Environnement a particulièrement porté le concept du Développement Durable auprès du public, mais, dans le même temps, il a généré une foule d’interrogations. Les postures diverses et variées du gouvernement et des Ong par exemple, n’engendre t-il pas plus de confusion que d’éclaircissement ?
EPR :
Le débat a donné accès au plus grand nombre à des sujets pour l’instant encore confidentiels ou qui était traités de façon simpliste sans que chacun puisse comprendre leurs impacts pour demain : biodiversité, déchets, OGM…. Ces sujets sont tous des sujets de société déterminants pour demain, ce qui est important c’est de donner à chacun les moyens de se faire une opinion. Ces sujets ne sont jamais simples, les politiques sont en construction et doivent se faire de façon participative car il s’agit vraiment de modifier notre modèle de société pour qu’elle soit viable.
CSF :
L’Alliance pour la Planète qui regroupe plus de 80 Ong environnementales a lancé le débat sur le
« Greenwashing » (utilisation abusive et trompeuse de l’argument écologique dans la publicité), Greenpeace se lance aussi dans cette opération de contestation depuis peu.
Que pensez-vous de cette pratique publicitaire ?
EPR :
La publicité par nature « récupère » les tendances de la société, il est donc normal qu’elle ait surfé sur cette vague verte. Comme pour toutes ces vagues : trash, image de la femme, utilisation de l’enfance, récupération d’images religieuses etc , il convient que la société civile joue son rôle et fixe les limites à ne pas dépasser. Il est tout à fait positif, compte tenu de la puissance symbolique de la publicité sur le plus grand nombre que les ONG se mobilisent et s’organisent pour influencer la représentation de l’environnement. L’information et la pédagogie sont urgentes pour modifier le regard et donc le comportement de chacun. Pour notre part à Ethicity nous avons contribué au près des annonceurs à créer la charte de la communication responsable (pour en savoir plus www.UDA.fr), il est essentiel que les plus grands annonceurs français, donneurs d’ordre des agences , s’organisent pour en interne mettre en place des process évitant ce type de risques et surtout fassent la promotion de comportements responsables et ce dans tous leurs types de communication et pas seulement publicitaires car l’essentiel des investissements n’est pas là.
CSF :
le 11 avril dernier, tous les représentants des professions publicitaires – annonceurs, agences, médias ont signé une Charte d’Objectifs et d’Engagement avec Jean-Louis BORLOO. Un nouvel organisme devrait prochainement voir le jour et « les associations » devraient en être membre.
En quoi certaines « associations » seraient plus représentatives ou légitimes que d’autres alors même qu’il n’y pas d’organisation collective dans notre pays pour les représenter ?
EPR :
L’environnement était pour l’instant « maltraité », il s’agit tout juste d’une mise à niveau alors que l’ensemble des autres droits sont déjà portés le plus souvent par d’autres associations : familiales, organisations de consommateurs et pris en compte par la profession auprès d’instances existantes : BVP, CSA…
CSF :
Pourquoi ouvrir ces représentations aux questions de consommations et aux Ong essentiellement environnementales, et non pas aux droits humains, à la santé, à l’humanitaire etc. ?
EPR :
Je suis pour l’autodiscipline d’une profession et non pour le contrôle par des tiers surtout lorsqu’il s’agit des budgets publicitaires de l’entreprise pour vendre ses produits. Toutefois, je pense que les entreprises le plus souvent ne sont pas assez ouvertes sur les préoccupations de la société civile et tout dispositif les incitant fortement à mieux l’entendre vont dans le bon sens. Il faut que chacun reste dans son rôle et les ONG dans le leur de contre pouvoir.
CSF :
vous avez récemment étudié de près le rapport des Français au développement durable, quels sont les grands enseignements qu’il faut en tirer ?
EPR :
Nous sommes à un palier : si les Français ont bien intégré la notion de développement durable, nous ne sommes qu’au début du passage à l’acte. Les leviers du changement sont d’abord individuels : quel est mon bénéfice à changer de comportement ? Il se doit d’être économique (faire des économies d’énergie…), pour la santé (des produits plus sains), pour me simplifier la vie ( le Velib’ par exemple) … Les deux freins majeurs à ce jour pour le changement sont le manque de connaissance et d’information sur les produits et services et le pouvoir d’achat : ces produits apparaissent plus coûteux …Ces sujets restent donc l’apanage des cadres et de ceux qui ont un niveau d’étude élevé, il est urgent de changer cela car les jeunes par exemple se sentent peu concernés…
CSF :
Où en sont véritablement les entreprises françaises sur ces questions ?
EPR :
Les entreprises commencent à prendre en compte ces enjeux dans le mode de production et leur management surtout dans certains secteurs comme l’industrie ou le business to business mais pour ce qui concerne l’offre au consommateur final, elle n’est pas encore formalisée de façon satisfaisante ni attractive et la demande peu là…c’est un enjeu pour les années à venir.
CSF :
Les équipes marketing des groupes industriels de la grande consommation ont-elles selon-vous pris la mesure des changements qui s’opèrent ?
EPR :
Non, les équipes marketing n’ont pas encore pris en compte de façon suffisante les changements qui s’opèrent. Il y a un énorme travail de changement culturel à réaliser qui se fera dans le temps car dans les grandes écoles de commerce partout on commence à intégrer le développement durable. C’est l’un de nos objectifs avec le programme engagé par l’UDA d’accélérer le processus et de le rendre le plus opérationnel possible.
CSF :
Les médias et les Ong ont-ils engagé des réflexions ou pris des décisions sur leur propre impact écologique ?
EPR :
Les médias et agences ont démarrée. Le ministère de l’environnement vient de publier un rapport sur l’état des lieux dans le secteur mais il y a encore beaucoup à faire… Quant aux ONG, elles sont déjà dans ces processus d’autant que leurs budgets de communication sont faibles et qu’elles cherchent donc à en optimiser l’impact symbolique (donc choix de papiers, re-utilisation des PLV…)
CSF :
Qu’est-ce qui vous révolte le plus aujourd’hui ?
EPR :
Dans notre pays, la non sensibilisation des adolescents aux enjeux du développement durable et surtout de ceux qui demain seront tous ceux dont nous aurons besoin : artisans, ouvriers, employés pour mettre en place des mesures en faveur de la maîtrise énergétique dans les logements par exemple etc. Au niveau international, la non prise en compte du problème des réfugiés climatiques demain.
CSF :
Et ce qui vous satisfait le plus ?
EPR :
Dans notre pays, La prise en compte par le gouvernement de ces enjeux mais comment cela va se traduire concrètement ? Au niveau international, le début de prise de conscience des pays les plus polluants : USA, Chine…mais là aussi je suis une pessimiste optimiste : aura-t-on le temps ?
Propos recueillis par Georges Paul
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