Francis Charhon « Je suis toujours choqué de voir des agences onusiennes faire appel à la générosité du public »
Médecin anesthésiste de formation, Francis Charhon est Directeur général de la Fondation de France, Président du Centre français des Fondations, administrateur du Centre européen des Fondations et président du Groupe Communauté Européenne de ce dernier, Vice-président du Comité de la Charte de déontologie des Organisations sociales et humanitaires faisant appel à la générosité du public. Il a par ailleurs présidé Médecins Sans Frontières avant d’en être son directeur général.
Communication Sans Frontières
Pouvez vous nous faire un rapide état des lieux sur l’avancée des fondations dans notre pays et en Europe ? Sommes-nous en retard sur nos voisins ?
Francis Charhon
La loi sur le mécénat d’août 2003 a significativement modifié le régime fiscal des dons en France qui devient un des plus attractifs d’Europe. La fiscalité, pour les donateurs individuels, permet de déduire de son impôt 66% des dons donnés à une organisation d’intérêt général dans la limite de 20% du revenu imposable (reportable sur 5 ans en cas de dépassement de ce plafond), pour les entreprises, cette réduction d’impôt est de 60% dans la limite de 0,5 % du chiffre d’affaires (reportable sur les cinq années suivantes). Par ailleurs, une sécurisation des donations temporaires d’usufruit et l’assouplissement des statuts type sont de nature à favoriser l’augmentation des fondations dans notre pays. On constate depuis le début de l’année une croissance inhabituelle: 6 fondations RUP, 10 fondations d’entreprises, 16 fondations abritées à la Fondation de France. La création du Centre Français des Fondations en 2003 (www.centre-francais-fondations.org) a permis aux fondations de se regrouper pour travailler sur des sujets communs et de faire connaître et reconnaître leur rôle au profit de l’intérêt général. Cela induit une dynamique propice au développement des fondations.
CSF
Dans ce contexte, comment se porte la Fondation de France ?
FC
La Fondation de France poursuit son action d’aider les personnes en difficulté en proposant aux donateurs ou aux fondateurs des programmes et des moyens de mise en ouvre adaptés à leur niveau d’intervention. Nous travaillons dans un large domaine qui touche le social, l’environnement, la culture, la santé et la recherche médicale. La Fondation de France développe son action au niveau national et à travers sept délégations régionales avec des salariés et des bénévoles. Devant des problèmes à traiter de plus en plus complexes, des demandes de plus en plus variées nous devons en permanence nous adapter pour rester en contact avec les besoins des demandeurs. Notre proximité avec le terrain favorise cette souplesse d’intervention. N’ayant aucune subvention publique, le niveau de notre intervention ne dépend que de la générosité des donateurs et de la confiance qu’ils nous font. Ne pas dépendre de financements publics nous donne l’indépendance nécessaire pour innover dans tous les domaines en cherchant des nouvelles formes d’intervention répondant à l’évolution rapide des besoins.
CSF
Comment soutenez-vous la lutte contre le sida, la protection de l’environnement et le développement durable, la lutte contre la pauvreté?
FC
Nous traitons ces sujets sous des formes diverses. Par exemple, pour l’infection par le HIV, nous aidons à la fois la recherche et les personnes en difficulté. En ce qui concerne la pauvreté, nous essayons de faire face à ses effets pour lutter contre les exclusions. Celles-ci touchent bien aussi les personnes malades, handicapées ou âgées. Sur l’ensemble des causes sur lesquelles nous intervenons, nous mettons la personne au centre de nos actions en favorisant son autonomie et sa dignité, en lui donnant les moyens d’être acteur de sa vie. Travailler sur le lien social est fondamental dans une société de plus en plus éclatée en manque de repères.
CSF
Quels sont les derniers enseignements que votre observatoire a pu mettre en exergue sur la générosité des Français suite au Tsunami en Asie du Sud-Est ?
FC
Les Français restent très marqués par le tsunami, ils n’ont pas oublié leur engagement et souhaitent obtenir des informations régulières. Ces informations viennent par la presse, mais des émissions de télévision à grand spectacle ont brouillé les choses en mettant en cause la réalité de ce que faisaient les ONG sur le terrain. Il est donc important que les donateurs aillent aux sources et se renseignent sur l’utilisation de leurs dons, soit en allant sur les sites web des organisations qu’ils ont soutenues, soit en leur téléphonant. Toutes ont publié des bilans après six mois d’intervention.
CSF
La « diplomatie humanitaire » des Ong est parfois contestée parce qu’elle ne serait issue d’aucune légitimité démocratique. Qu’en est-il des fondations ?
FC
Je ne crois pas à cette notion de diplomatie humanitaire, elle ne fait que masquer l’impuissance des Etats à régler les problèmes du Monde. Chacun doit occuper sa place quand les ONG deviennent des instruments des politiques nationales, elles ont un conflit de valeurs majeur, perdent de leur crédit et l’indépendance qui fait leur force.
CSF
Le manque de différenciation entre les agences onusiennes, les Ong, les fondations, les associations confessionnelles. dans ce qui les rend chacune respectivement spécifique, peut-il contribuer selon-vous à une certaine défiance des donateurs ?
FC
Je suis toujours choqué de voir des agences onusiennes faire appel à la générosité du public, car elle sont financées par les Etats, elles ont des objectifs différents de ceux des ONG et souvent il est difficile de tracer l’utilisation des fonds. C’est aux organisations collectrices de bien faire savoir ce qu’elles sont et le type de travail qu’elles font. Pour les donateurs, il est important de connaître auprès de qui ils s’engagent ce qui évitera des déceptions voire un sentiment d’avoir été abusés. Chaque organisation doit tenir à la disposition des donateurs des comptes et le bilan de ses actions. On peut bien entendu consulter leurs sites internet.
CSF
Comment analysez-vous la crise médiatique à laquelle l’opinion a été confrontée durant le tsunami et le « remboursement moral » que demande les médias aux acteurs humanitaires 6 mois après la catastrophe?
FC
Le temps médiatique et le temps des interventions ne sont pas les mêmes notamment en ce qui concerne la reconstruction. Certains médias ont fait correctement leur travail ; d’autres ont joué la carte de la polémique ce qui est absurde. Qui peut raisonnablement penser qu’en six mois on aurait effacé, dans au moins quatre pays, les effets de la plus grande catastrophe naturelle que nous ayons connue, qui peut dire devant l’ampleur des dégâts qu’il y a trop d’argent, qui peut laisser croire que les ONG engagées sur place seraient partout et feraient tout ? Ces questions ont entraîné des malentendus qui sont de nature à faire douter les donateurs. Les organisations qui travaillent sur place ont choisi des implantations en accord avec les autorités locales, monté des programmes en concertation avec les habitants qui participent eux-mêmes à leur réalisation. Ceci prend du temps mais respecte les pays dans lesquels il y a des interventions. Les donateurs doivent être conscients que leurs dons sont utilisés là avec le plus grand soin et participent au retour à une vie normale des habitants. La Fondation de France à ce jour pour sa part soutient 40 projets réalisés par 26 organisations, 70% des financements sont attribués et les fonds sont donnés en fonction de l’avancée des travaux. Les fonds en attente de distribution sont placés à la banque et les intérêts viendront s’ajouter aux sommes collectées pour l’Asie.
CSF
Certaines Ong souhaitent organiser un loto humanitaire, qu’en pensez-vous ?
FC
Il est des pays dans lesquels des loteries philanthropiques existent. Elles permettent une amplification de la capacité d’intervention. La difficulté réside dans le fait de choisir les causes bénéficiaires. En effet les besoins sont importants dans de nombreux domaines en France et à l’étranger aussi est-il difficile de faire de la discrimination entre les causes.
CSF
Etes-vous de ceux qui pensent que l’argent peut tout régler en particulier dans le monde de la solidarité et du développement ?
FC
Le développement nécessite beaucoup de moyens, mais il faut aussi s’assurer que les fonds destinés à l’aide soient convenablement utilisés. En effet l’argent est un moyen indispensable qui doit être au service de politiques claires en matière d’engagement des Etats récipiendaires sur les priorités qu’ils donnent à leur pays. En France l’argent des donateurs permet d’intervenir là où l’état est absent ou insuffisamment actif. Il permet notamment des actions de proximité inaccessible aux grands dispositifs.
CSF
De nombreuses associations sont attirées par la télévision et les campagnes de promotion massives au point d’accepter parfois tout et n’importe quoi. Ne pensez-vous pas qu’il y a là des risques majeurs pour l’ensemble du secteur d’autant que nombre d’entre elles n’ont pas accès aux médias et qu’aucune règle ne régule cet état de fait?
FC
Les campagnes coûtent chères. Leurs budgets doivent être en relation avec ceux de l’organisation pour qu’il n’existe pas de déséquilibre pénalisant l’objet social. La réglementation dans ce domaine est difficile, car elle risquerait d’être contre-productive. Je ne pense pas que l’on puisse tout faire en matière de promotion. Il y a des limites que chacun doit s’imposer pour ne pas perdre son âme mais pour certains il est difficile de résister à l’attrait de la télévision. Aujourd’hui le censeur principal est le donateur, s’il voit que trop de fonds ne vont pas à l’action, il se détournera de l’organisation. Par ailleurs le Comité de la Charte (www.comitecharte.org) regarde les grands équilibres et se trouve en mesure d’intervenir.
CSF
MSF, que vous avez présidée, est en procès avec l’Etat néerlandais pour le remboursement de la rançon payée pour la libération d’Arjan Erkel. Qu’est ce que cela vous inspire ?
FC
Je ne connais pas le détail de cette affaire mais cela me paraît invraisemblable d’autant que si j’ai bien compris MSF n’avait pris aucun engagement envers le gouvernement hollandais.
CSF
Qu’est ce qui vous révolte et vous satisfait le plus aujourd’hui ?
FC
Ce qui me révolte le plus est de constater qu’il existe trop de situations difficiles dans notre pays et qu’une partie de ce problème provient de notre trop fort endettement qui progresse sans arrêt depuis 20 ans. Ce qui me satisfait le plus est de voir que les habitants de notre pays s’engagent de plus en plus pour participer à la résolution de problèmes auxquels ils ont à faire face, toute l’action de la Fondation de France s’appuie sur cet engagement.
Propos recueillis par © Communication Sans Frontières®
© Communication Sans Frontières® août 2005 – tous droits réservés.
Interview réalisée par mail. Les personnes interviewées reçoivent les questions préalablement par mail.