FRANÇOISE JEANSON, Docteur Françoise Jeanson, Présidente de Médecins du Monde
Docteur Jeanson, médecin, commence comme responsable de la « Mission France » de Médecins du Monde à Bordeaux en 1995. Puis présidente de Médecins du Monde de 2004 à 2006, elle s’investit dans de nombreuses missions sur tous les continents.
Communication Sans Frontières
MSF a décidé de ne plus faire appel aux dons pour la catastrophe humanitaire en Asie du Sud. Pensez-vous qu’il y ait vraiment matière à polémique?
Françoise Jeanson
Non, MSF est responsable de sa communication et de ses actions . L’annonce faite à leurs donateurs est légitime, dans la mesure où ils se savaient ne pas être en mesure d’utiliser davantage d’argent sur le terrain. En revanche de nombreuses ONG dont MDM ne sont pas dans la même situation, et continuent à accepter les dons. En particulier de nombreuses Ong moins médiatiques ont besoin de soutien financier.
CSF
Que pensez vous de l’élan de générosité historique suscité par ce sinistre démesuré ?
FJ
Il est à l’égal du sinistre. Il montre qu’il existe une réelle capacité à se mobiliser sur des réflexes d’émotion, que ce soit par le don ou par l’action. La globalisation des questions soulevées par la catastrophe a amené une globalisation de la réponse. Il est , dans ce cadre, nécessaire d’appréhender la réponse particulière apportée par des entreprises privées souvent poussées par leur salariés. Je pense qu’elle doit être réellement réfléchie.
CSF
Comment analysez vous à chaud le rôle des médias sur ce sujet ?
FJ
Il est « confusant » : On ne sait plus qui est qui et qui fait quoi ? TF1 est elle devenue une fondation, l’égal de la fondation de France ? Quel est le rôle des médias, informer en toute indépendance, faire de la collecte et de l’appel aux dons et choisir eux même les destinataires de cet argent ? choisis sur quels critères ? L’efficacité sur le terrain ?
L’efficience de l’action (qui tient compte de l’efficacité et du coût) ? ou simplement la notoriété et la renommée ou la puissance médiatique de leurs porte paroles ?
CSF
Qu’est ce que cette situation unique dans l’histoire de l’humanitaire contemporain va changer selon vous?
FJ
Elle va continuer à contribuer à la multiplication des acteurs. Ceci demandera un décryptage de l’action humanitaire de chacun et la nécessité de rendre encore plus de comptes sur l’utilisation des fonds. Donc il y a un besoin de pédagogie.
CSF
Comment analysez vous les enjeux de la coalition d’origine américaine versus le rôle de l’Onu dans cette crise?
FJ
Il y a eu une tentative de contournement de l’ONU, comme d’habitude, (Kosovo, Irak) elle n’a pas tenu, les enjeux sont évidemment stratégiques, politiques et économiques.
CSF
MSF a tenté d’expliquer que le risque d’apparition éventuelle d’épidémies n’était pas majeur contrairement à ce que les médias écrivaient. Qu’en est-il exactement et de quelles épidémies parle t-on?
FJ
Effectivement, et la suite l’a prouvé, il n’y a pas eu à ce jour d’épidémie majeure. Restent des risques limités de diarrhées, de rougeole, de paludisme et le risque non épidémique de tétanos. Heureusement, car il y avait la terre entière au chevet de ces « soi-disant » risques majeurs et il n’y a jamais eu d’épidémies à la suite des dernières grandes catastrophes naturelles.
CSF
Peu d’informations précises nous parviennent en fait alors que l’on semble disposer d’une profusion d’informations exceptionnelles. Pouvez-vous nous expliquer ce paradoxe ?
FJ
La multiplication des images en raison des différents lieux d’impacts.plus de 8 pays différents donc finalement peu d’images et d’infos précises sur chaque situation. Par ailleurs, il n’y a plus beaucoup de journalistes sur place une fois la première urgence passée.
CSF
Quelles sont les priorités d’une Ong telle que MDM face à l’ampleur d’un sinistre de cette sorte ?
FJ
L’efficacité, la rapidité, La pertinence, il faut une réponse adaptée aux besoins des plus vulnérables. Il nous faut aussi nous insérer dans le dispositif de coordination préexistant et travailler en fonction des besoins, de nos capacités de réponses financières, techniques, humaines.
CSF
Comment définiriez-vous l’absence de coordination des moyens qui semble s’installer sur place ?
FJ
Depuis plusieurs semaines une coordination s’est mise en place. Le problème est récurrent dans les premiers jours d’une telle catastrophe . l’hétérogénéité des acteurs crée inévitablement de la confusion. Ceci dit hétérogénéité et aussi complémentarité. C’est une des prérogative des Etats que d’assurer une coordination.
CSF
Comment selon vous les collectes de fonds devraient-elles être organisées en pareilles circonstances ?
FJ
La collecte s’est créée spontanément, il n’y a pas eu de démarche active de notre part, au début. Personne n’a pris la mesure de l’ampleur du désastre les premiers jours, et encore moins de la générosité qui lui a répondu.comment organiser et prévoir une telle situation ? En tout cas il faut essayer de proscrire les collectes « sauvages ».
CSF
MDM a t-elle une éthique et une déontologie en la matière ?
FJ
Oui sans aucun doute. Nous avons une obligation juridique et éthique de communiquer en toute transparence sur cette collecte, ses montants et son utilisation.
CSF
Quelles leçons tirez-vous déjà de la situation actuelle ?
FJ
Il existe un risque fort d’institutionnalisation des capacités d’action, de réactivité dues à l’indépendance financière apportée par les dons privés et les dons de citoyens qui ont choisi spécifiquement et en toute liberté les « générateurs » de leur solidarité. Par ailleurs, le montant des dons donnés à chaque organisation pour cette catastrophe, s’il est public, donnera une idée très fiable de la notoriété spontanée de chaque association. Encore faudrait-il que chacune dise très exactement ce qu’il en est de cette collecte spontanée.
Propos recueillis par mail par Communication Sans Frontières
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