Michel Soublin « L’important c’est que la pression médiatique n’entraine pas une dérive des buts pour satisfaire à la pression du public »
Diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et de la faculté de Droit et Sciences Economiques, Michel Soublin a débuté sa carrière à la Banque NSM avant de devenir Administrateur d’Atos Origin et de Gemalto NV.
Au cours de sa carrière de 1973 à juillet 2007 chez Schlumberger Limited, leader mondial des services pétroliers, il a occupé à Paris, New York et Moscou divers postes de direction générale de filiales, de contrôle de gestion et, récemment, de trésorier du groupe.
Parallèlement, 1972 à 1998, il a occupé divers postes de dirigeant dans l’association Vaincre la Mucoviscidose. Membre fondateur de l’Association française des trésoriers d’entreprise, Censeur au Comité de la Charte en 2002 et 2003, puis administrateur et trésorier, il est, depuis 2004, Président du Comité de la Charte.
Communication Sans Frontières :
Vous êtes président du Comité de la Charte. Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les missions de cette organisation? Avez-vous un statut associatif ?
Michel Soublin :
Notre mission est de donner un agrément aux associations ou fondations qui font appel à la générosité du public pour que ce public puisse donner en confiance. Nous sommes une association. L’agrément est un contrat privé avec nous. Ce sont les organisations qui se portent volontaires pour se faire agréer par nous. Elles acceptent de se soumettre aux règles déontologiques contraignantes que nous avons regroupées dans « la Charte »
CSF :
Les 55 associations qui adhèrent au Comité de la Charte sont soumises à un contrôle continu.
En quoi consiste-t-il ?
MS :
Nous nommons un contrôleur auprès de chaque organisation. Son rôle est de contrôler que l’organisation respecte la Charte de déontologie en permanence et dans son ensemble. Il ou elle a accès à tous les documents et toutes les personnes de l’organisation. Il assiste à l’AG et à un Conseil d’administration. S’il y a manquement grave à la Charte, ce contrôleur peut déclencher immédiatement une procédure de retrait d’agrément.
Ce qui est original, par rapport à nos collègues internationaux, c’est que nos contrôleurs sont des bénévoles. Ce sont des cadres de l’industrie, l’administration. expérimentés et qui, de par leur bénévolat, sont totalement indépendants.
CSF :
Comment intégrez vous dans ces contrôles la part dédiée par les associations à leur promotion et à leur publicité y compris le hors média ?
MS :
Il n’est pas anormal que les associations fassent leur propre promotion si cela sert à l’activité vers les bénéficiaires de leur action : les exclus, les « cabossés de la vie », les personnes déplacées, victimes de conflit, malades.Nous n’imposons pas de ratios de dépenses. Au contraire, nous recommandons aux donateurs de ne pas comparer sur la base de ratios financiers. La règle c’est la clarté. Elles doivent dire combien elles dépensent et où ces dépenses sont classées dans leur compte d’emploi ressource (CER). Cela nous le contrôlons. Le donateur se fera sa propre opinion.
CSF :
Faites-vous des recommandations sur ces sujets d’ordre financier, éthique ou déontologique.
MS :
Bien sûr. Regardez sur notre site : comitecharte.org les recommandations en matière d’utilisation des ratios financiers dans la communication, par exemple. Nous avons aussi des règles sur la communication : les organisations doivent « dire ce qu’elles font et faire ce qu’elles disent ».
CSF :
Comment abordez-vous la question du rapprochement des Ong avec certaines entreprises et opérations à vocation purement commerciales ?
MS :
Nous n’avons pas de règle spécifique sur ce sujet. Mais les grands principes s’appliquent : la recherche d’un accord avec un partenaire ne doit pas entrainer de dérive par rapport au projet associatif publié. L’organisation doit rester fidèle à son but. De plus, s’il peut avoir une grande influence sur la vie de l’organisation, un tel rapprochement doit être clairement annoncé et explicité. Enfin, beaucoup d’organisations pourraient bénéficier de certaines techniques de gestion des entreprises.
CSF :
Vous contrôlez les finances des associations et leur déontologie pour rassurer les donateurs mais avez-vous un regard sur l’efficacité de leurs missions elles-mêmes et sur la satisfaction des bénéficiaires ?
MS :
Nous ne contrôlons pas les finances ; c’est le rôle des commissaires aux comptes. Leur intervention est obligatoire. Notez qu’ils doivent faire les mêmes diligences que dans leur contrôle des entreprises. Ce que nous analysons c’est la rigueur de la gestion. Ont-elles des procédures et contrôles qui permettent d’optimiser l’emploi des fonds dont elles disposent, d’assurer la pertinence et l’efficacité de la gestion de l’ensemble de leurs structures. Je souligne que, de par leurs buts et leurs modes de fonctionnement, les organisations sont très différentes les unes des autres. Cette analyse est donc délicate et on ne doit surtout pas les comparer sans une analyse approfondie.
CSF :
Le Comité de la Charte est-il lui-même contrôlé?
MS :
Le Comité est indépendant des pouvoirs publics. Il n’a pas d’autorité de tutelle. Mais il est constamment sous l’oil du public, des donateurs. Il accueille avec plaisir les remarques des donateurs via son site internet ou par courrier.
De plus, il y a des administrateurs indépendants, dont le président, dans notre conseil d’administration.
CSF :
Avez-vous déjà pris des mesures de sanctions ou exclu l’un de vos adhérents ?
MS :
Oui, souvent. Les ¾ des renouvellements d’agréments sont soumis à des demandes ou des injonctions d’amélioration ou des engagements de changement pris par les organisations agréées. De plus, depuis sa création il y a 18 ans, 3 organisations ont quitté le Comité pour ne plus avoir à se soumettre à ses contraintes.
Enfin, dans les 18 derniers mois, 4 organisations se sont portées candidates, mais n’ont pas été agréé. Nos règles déontologiques sont contraignantes. Beaucoup d’organisations doivent encore faire des efforts pour pouvoir se mettre à niveau.
CSF :
Quelle est votre position sur les nouveaux modes de collectes auprès du grand public tel que le street-fundraising (personnes recrutées pour des missions de recherches de donateurs dans la rue) ?
MS :
Si ces modes de collectes respectent la dignité de la personne humaine et si les donateurs sont convenablement informés ensuite sur l’utilisation de leurs fonds, nous n’avons pas d’objection.
CSF :
Estimez-vous que les associations humanitaires développent désormais des vraies stratégies marketing et de communication telles des marques industrielles ? Ceci ne remet-il pas en question l’éthique et la déontologie spécifique de la communication non marchande et du statut sans but lucratif des associations ?
MS :
Ces marques peuvent être un atout au service des bénéficiaires, pensez à celle d’Amnesty international, par exemple. Evidemment, il faut s’assurer que l’image et la perception de la marque reflète très fidèlement la réalité de l’activité de l’organisation.
CSF :
Certaines associations revendiquent le fait qu’elles fonctionnent majoritairement grâce à la générosité des donc privés et qu’elles ne sont soumises ainsi à aucune pression politique. Elles sont malgré tout soumises à la pression médiatique ou de l’opinion publique occidentale. N’est-ce pas un risque majeur pour elles ?
MS :
L’important c’est que la pression médiatique n’entraine pas une dérive des buts pour satisfaire à la pression du public. Cette dernière pourrait pousser l’organisation à se lancer dans des activités qui ne sont pas dans son champ de compétence ni dans le projet sur lequel les membres se sont associés ou les fondateurs ont créé la fondation. On ne saurait trop insister sur la responsabilité du conseil d’administration dans ces domaines. Il doit contrôler l’activité des directions de la communication et de la collecte de fonds.
CSF :
L’appel à la générosité du public joue sur la corde sensible des donateurs. Pensez-vous que les associations qui communiquent ne pervertissent ou ne manipulent pas la forme et le fond des problèmes de l’humanité à leur profit ?
MS :
C’est un risque. Mais ce serait suicidaire car elles saboteraient la confiance que le public a en elles. Je ne crois pas qu’on puisse lutter contre ces dérives par des lois. En revanche, je crois qu’une bonne gouvernance, des administrateurs indépendants qui ont le sens de leur responsabilité dans les conseils d’administration et une limitation aux nombres de mandats sont des garde-fous à imposer.
CSF :
L’acte de communiquer ne se doit-il pas d’être responsable et citoyen au delà de la simple mesure d’efficacité publicitaire ?
MS :
Bien entendu, mais c’est le journalisme spectacle, à but publicitaire, qu’il faut d’abord condamner, surtout lorsqu’il se drape derrière la liberté de l’information pour mener ses politiques mercantiles.
CSF :
Quelles sont vos recommandations dans l’accès aux médias des associations ? Doit-il être gracieux ou payant ?
MS :
Il doit être fait d’une manière professionnelle et sans compromis. S’il est gracieux, c’est magnifique mais il faut le dire. Si l’aide d’une agence est bénévole, il faut malgré tout qu’elle fasse l’objet d’un contrat et d’un cahier des charges avec des normes de qualité comme s’il s’agissait d’une prestation payante.
CSF :
Comment abordez-vous la question de la professionnalisation des personnels associatifs et les pratiques salariales ?
MS :
Ce qui compte c’est que l’argent des dons soit bien utilisé. Cela ne me choque pas qu’il y ait des salariés, à différents niveaux dans l’organisation, et qu’ils soient rémunérés convenablement. Le marché des compétences est compétitif. Les donateurs individuels et institutionnels doivent admettre qu’un certain niveau de frais est souhaitable pour que les organisations soient efficaces. L’activité des bénévoles est aussi hautement souhaitable mais elle doit être conduite, de part et d’autre comme avec des professionnels et « contractualisée ».
Plus l’organisation est grande plus il est important que les responsabilités exécutives et celles de contrôle soient bien séparées, notamment par la présence d’un conseil d’administration qui ne soit pas le « gouvernement » de l’organisation mais un organe de définition de la stratégie et de contrôle de son application.
CSF :
Les associations ont-elles enclenché leurs propres démarches de développement durable, l’évaluation de leur impact carbone ?
MS :
Elles s’honoreraient d’être en pointe sur ces sujets, mais il faut leur en donner les moyens.
CSF :
Qu’est-ce qui vous révolte le plus aujourd’hui ?
MS :
Que l’on continue à parler « des » scandales alors qu’il ne s’agit toujours que du même, celui de l’ARC d’il y a près de 15 ans et que les français ne savent pas que les organisations qui font appel à leur générosité sont déjà très contrôlées par différentes instances dont, par exemple, le Comité de la Charte.
CSF :
Et ce qui vous satisfait le plus ?
MS :
Que 55 parmi les plus grandes organisations caritatives aient jugé bon pour elles de s’engager volontairement à se soumettre à des règles et à des contrôles comme ceux du Comité de la Charte.
Quant aux autres, il faudrait leur demander pourquoi elles ne souhaitent pas se soumettre à de telles exigences.et que les français le sachent.
Propos recueillis par Sandrine Tabard
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