Communication sur le développement durable à destination des autorités publiques : comment produire des campagnes publiques efficaces ?
Un dossier du PNUE et de l’agence Futerra.
Un dossier du PNUE et de l’agence Futerra.
La sensibilisation et l’inquiétude du public sur les questions environnementales et sociales ne cessent de croître. Le fait que le monde est devenu de plus en plus transparent, en grande partie grâce aux médias et à l’essor des nouvelles technologies de l’information, y est indéniablement pour quelque chose. Les impacts de nos modes de consommation ne sont plus vagues et invisibles. Les gens commencent à comprendre l’effet qu’ils ont sur ce monde – notre unique « foyer » – et qu’il leur appartient d’en prendre soin.
Le Haut Conseil a constaté que si dans les années 90, le commerce équitable constituait encore un phénomène marginal en France, il enregistre depuis 2001 une importante progression en volume de près de 75% par an, en diversification avec l’élargissement à de nouveaux produits, ainsi qu’en notoriété avec son entrée dans la grande distribution. 4000 tonnes de produits labellisés équitables ont été commercialisées en France en 2003, sur la base de 300 produits référencés, pour un chiffre
d’affaires de 37 M€.
« Ferme le robinet quand tu te brosses les dents, éteins la lumière quand tu quittes la pièce »
Ces petites phrases, à la base de l’éducation familiale, cherchent à instiller les premières notions comportementales de développement durable dans l’esprit des enfants et des adolescents, pour une raison généralement d’ordre économique. Mais bien qu’elles aient été répétées des années durant aux jeunes, le réflexe n’est pas forcément acquis, ou semble oublié. Cet exemple montre que la récurrence des messages ne suffit pas pour inciter à des changements de comportement profonds. Alors, comment dissoudre le développement durable dans l’esprit des jeunes ?
Loin de l’ordre, de la morale et des dogmes, transmettre des habitudes de vie respectueuses des grands préceptes du développement durable aux jeunes est une aventure nécessaire, mais qui exige de bien les connaître.
Une bonne nouvelle : leur culture spécifique est de mieux en mieux maîtrisée par les agences de communication spécialisées qui utilisent des techniques élaborées de marketing aux noms évocateurs : marketing viral (buzz, parrainage intéressé), marketing tribal, street marketing, etc. (1). Elles ont bien compris les désirs fondamentaux et contradictoires des jeunes : pour séduire les 8-25 ans, ces spécialistes du cool savent mettre en musique des notes émotives finement orchestrées qui s’appellent idéalisme, rébellion, hédonisme, transgression, besoin de modèles à suivre.
Mais, nouvelle plus mitigée, ce marketing des jeunes est amoral par essence : ni bon ni mauvais, il n’a pour seuls guide et contrainte que les lois du marchés, et pour vocation unique de servir les marques, en déversant sur les jeunes des milliers de tonnes de fringues et autres accessoires souvent hors de prix.
Les conséquences sociales sur le long terme de ces messages commerciaux sont tout simplement mésestimées. Ils leur inculque surtout pour l’instant des valeurs comportementales qui frôlent l’irresponsabilité sociale (culte excessif de la minceur, machisme latent, désir trop précoce des très jeunes de ressembler à leurs aînés avec la tendance Lolita-bimbo, etc.).
Il serait hâtif de conclure que les jeunes ne rêvent que de fun, mode, musique, célébrité, argent facile, et qu’ils ne sont que le pâle reflet de leur consommation. Notre société se révèle pour l’instant très peu capable de leur offrir des occasions de vivre leur vraie vie de jeunes, tout simplement parce qu’elle ne les connaît pas vraiment :
La jeunesse, c’est en effet avant tout une attitude très particulière face à la vie : faculté de voir avec des yeux neufs les travers de nos sociétés (auxquels les adultes ne se sont que trop bien habitués !). Besoin de révolte, de confrontation, de jouissance, mais aussi d’intégration ! Les jeunes – et le paradoxe n’est qu’apparent – veulent en effet dans le même temps intégrer, en les adaptant, nos modes de vie. Ils ont aussi et surtout, le désir vital de trouver leur propre voie. Malheureusement ces idéaux légitimes, une fois assimilés et digérés par la machine médiatique et publicitaire, finissent par ressortir passablement télé-réalitisés : le risque est grand de n’offrir à la jeunesse que le rêve assagi et dévoyé d’un désir éperdu de gloire, de pouvoir et d’argent facile. (2)
Puisque l’on a su décrypter les valeurs et réflexes de la jeunesse occidentale, et que la publicité sait les engager dans la voie d’une consommation débridée, pourquoi ne pas orienter ces savoirs comportementaux dans une direction essentielle, en sensibilisant la jeunesse à des choix d’achat et à des comportements de vie plus respectueux des grands préceptes du développement durable ?
Plusieurs études démontrent qu’une majorité grandissante de jeunes se sentent très concernés par des problématiques sociales et environnementales. Ils se disent préoccupés principalement par l’exploitation des enfants et des hommes, puis par la sauvegarde de l’environnement et les tests sur les animaux. L’environnement est pour eux un souci prioritaire pour l’humanité. (3)
Mais, force est de constater que les jeunes sont loin de consommer en accord avec ces nobles idéaux. Pour quelles raisons ? Cette dissociation provient en fait principalement d’un manque de conscience – principalement dû au déficit d’information – sur le rapport entre la consommation individuelle et l’ensemble de ses répercussions sur la vie sociale et l’environnement.
Avec une telle constatation, il faut trouver le bon détonateur. Car, actuellement, leur décisions d’achat de consommation (mode, musique, sorties…) repose – à l’instar de beaucoup d’adultes ! – sur des critères classiques de prix, de style, d’usage, auxquels s’ajoute une versatilité propre à la jeunesse.
Mais, si, dans les sondages, les jeunes révèlent aussi des comportements fatalistes qui les empêchent d’agir individuellement, ils n’en restent pas moins en quête de valeurs vraies. Celles-ci s’expriment de plus en plus spontanément, faute de mieux, dans le circuit social et citoyen (manifestations alter mondialistes de Seattle, Gènes, Florence, etc.), une attitude consumériste nono, et la pratique de sports typiquement jeunes (sports de glisse.).
Nous avons vu que les jeunes constituent un mélange complexe de comportements et de pulsions aussi diverses et apparemment antagonistes que la révolte, l’idéalisation, le pragmatisme consumériste, la maturité, la naïveté, le besoin de modèle, de générosité, d’égocentrisme, et de tribus.
Il est fondamental, pour mieux les comprendre, d’appliquer au départ des règles de bon sens, à savoir déjà bien appréhender les différentes typologies de jeunes que l’on désire aborder, avec des critères précis de différenciation marketing classiques tels que l’âge, le sexe, le niveau social…
Mais cette analyse rationnelle est loin de suffire. Nous proposons ici une méthodologie concrète d’aide au changement positif de comportement individuel, basée sur 9 besoins émotionnels fondamentaux : il est ainsi possible de disposer d’une grille d’analyse rationnelle de gestion des émotions à la fois positives (rêve d’une vie meilleure.) et négatives (peur du changement.), qui facilite la conception, la mise en place et l’évaluation de campagnes de sensibilisation efficaces. Les freins psychologiques sont notamment clairement identifiés et pris en compte.
Voici pour exemple les 9 besoins de bases, adaptés aux adolescents et jeunes adultes. (4)
Les jeunes ont un sens naturel de la justice : « La planète se meurt, c’est dégueulasse, on ne peut pas laisser faire, il faut réagir, il y a bien des solutions ! ». C’est là tout l’aspect positif du besoin de révolte pour inciter les jeunes à réagir : les manifestations alter mondialistes, expertes en l’art du changement de comportement, prônent volontiers un tel type de réaction, d’où leur succès.
Mais qui dit révolte dit aussi refus de l’autorité. Un message de sensibilisation à l’attention des jeunes (prévention routière, tabac, alcool) ne devrait jamais donner l’impression qu’il émane d’une quelconque autorité, sous peine de voir son efficacité amoindrie. Se fonder sur le besoin de révolte est bien plus efficace : le site Internet www.jesuismanipule.com, sur la prévention du tabagisme utilise ce besoin.
Une étude réalisée en Angleterre sur des enfants âgés de 4 à 5 ans montre que des avertissements sur les dangers de la route restent inefficaces : ils continuent de traverser la rue seuls ! Les messages d’alertes sur les méfaits du tabac sur les paquets de cigarettes n’empêchent pas les gens de fumer.
On n’arrive en fait guère à susciter des changements durables d’attitudes, d’opinion ou de comportements en misant uniquement sur des campagnes de communication, aussi créatives soient-elles. Informer ne suffit pas. Le citoyen et le consommateur, doivent être impliqués personnellement et concrètement. Par exemple, la chaîne française de magasins Nature & Découvertes propose des ateliers malins et des animations scolaires pour les enfants qui les amènent à mieux connaître la nature.
Remarquons que le manque d’implication est la lacune principale de beaucoup de campagnes de sensibilisation actuelles, qui se reposent trop sur des visuels et accroches chocs.
Les dons spontanés lors de catastrophes humanitaires prouvent une vérité première, souvent oubliée : tout être humain – et en particulier les jeunes – à autant besoin de donner que de recevoir. Le don de soi est le stade ultime du besoin d’implication. (5)
On comprend mieux alors les capacités étonnantes d’implication que le désir du don de soi peut déployer chez les jeunes. Encore faut-il les comprendre et savoir les inciter correctement. Autres temps, autres mours, ce besoin s’exprime différemment aujourd’hui :
Au revoir la lutte des classes sociales, le syndicalisme, les lendemains qui chantent, la cause unique… Bonjour les actions multiples, spontanées, éphémères et ludiques, les progrès modestes mais réels, les réseaux informatiques, les manifestations ludiques, la gratuité. dont s’inspirent les meilleures campagnes de sensibilisation à leur égard.
En s’impliquant sérieusement, les jeunes se rassurent sur leur engagement personnel, satisfont leur besoin de communauté sociale, constatent l’impact de leur action, et surtout, changent durablement de comportement.
Ce besoin est fondamental : un individu quel qu’il soit rêve d’abord une réalité qu’il juge idéale, et qui lui servira de moteur pour sa vie. Le rêve reste le meilleur moyen d’inciter un jeune à se battre pour un avenir durable ou un comportement responsable, qui souvent lui sont présenté par un biais alarmiste, répressif et quasi forcé (campagnes de prévention routières basées seulement sur des visuels spectaculaires).
Les saga Harry Potter et Le seigneur des anneaux , la marque Ushuaïa , la série Télévisée Buffy et les vampires , le magazine Magic , tous ces exemples, lus ou regardés en majorité par des jeunes, mettent en scène, à des degrés divers, une nature rêvée , sauvage, impulsive, secrète, peuplée d’esprits à la fois bon et mauvais.
Il s’agira donc de s’entourer des meilleurs réalisateurs, scénaristes, graphistes… pour transcrire artistiquement les concepts souvent abscons du développement durable, et rendre attractif un nouveau comportement.
Un des grands problèmes des enjeux de société est leur difficulté d’appréhension. Comment en effet visualiser les effets terminaux du tabac ou d’un cancer quand un jeune se sent en bonne santé avec toute la vie devant lui ? Nous avons tous besoins de prendre clairement conscience d’un problème, de le rendre réel, avant de commencer à réagir.
Comment procéder ? Il faut créer des représentations ou symboliques visuelles fortes qui aident à mieux prendre conscience du problème (montrer un jeune avant et après une dépendance, généraliser des systèmes publics de visualisation de la pollution atmosphériques pour concrétiser le réchauffement climatique). L’obligation pour les appareils électroménagers de montrer leur consommation d’énergie est une bonne application officielle de ce besoin.
Notons un piège courant à éviter : expliquer une certaine réalité de façon trop rationnelle en abusant des arguments scientifiques : l’utilisation judicieuse de l’émotion humaine (sans tomber cependant dans l’excès d’images uniquement chocs), renforce considérablement l’impact des argumentaires scientifiques.
Les jeunes ont aussi besoin que l’on comprenne leur réalité : il faut donc parler leur langage et utiliser leurs propres codes de communication (Drogues : « Le canna, c’est pas sans risque ! »).
Antithèse apparente du besoin de don, la jeunesse est aussi fortement tentée de se contenter de vivre sa vie sans trop se poser de questions, dans un contexte quotidien d’abondance, de confort et de propositions commerciales permanentes. Une actualité média chargée (crises sociales, environnementales, insécurité, guerres.) décourage aussi très souvent toute initiative positive.
Les meilleures façons de contrecarrer le besoin de fuite restent l’argumentation positive, la mise en scène d’un futur désirable, le soutien moral, l’accompagnement au quotidien et la mise en place de lois sociales normatives (suppression de la publicité pour le tabac.).
Au-delà d’une tentation de fuir leurs responsabilités sur le monde, les jeunes sont aussi – et c’est tout à fait normal – des hédonistes qui s’ignorent : ils cherchent à croquer la vie , ils désirent devenir riche et célèbre le plus vite possible, et posséder notamment des objets à forte reconnaissance sociale (marques de voitures haut de gamme).
Ce besoin est légitime dans la mesure où il aide les jeunes à satisfaire leur désir d’expérience de pouvoir et de reconnaissance, tout en participant à leur intégration dans la société, à condition qu’il ne constitue pas une finalité en soi.
Les promesses hédonistes et pragmatiques ne sont donc pas à négliger dans toute campagne de sensibilisation à leur égard. Les incitations positives aux changements de comportements doivent être aussi sexy et satisfaire leur ego en les valorisant. (6)
Tout jeune à un besoin naturel de connaître ses limites, de flirter avec le danger, de partir à la découverte de soi-même en enfreignant certaines règles sociales. La sensibilisation au développement durable peut en tirer bénéfice : par exemple, les sports de glisse nature (surf, windsurf, snow-board) savent orienter positivement le goût des 18-30 ans pour les conduites à risques : il s’agit de se mesurer à un élément naturel, neige, eau, air. La nature est perçue dans ces milieux comme un lieu de confrontation positive avec des éléments sauvages et indomptés.
Corollaire du besoin de réalité, la jeunesse a besoin de jeunes prescripteurs et prescriptrices sexy qui leur donnent envie d’adopter de nouveaux comportements, en comprenant et parlant leur langage, et en leur donnant un modèle d’identification sociale qui les satisfasse. Par exemple : un chanteur engagé, un footballeur charismatique, un animateur cordial, une jeune personnalité médiatique.
Les jeunes sont également très sensibles au modèle adulte, même s’ils l’expriment rarement de manière aussi ouverte. Le casting peut ainsi se diriger vers un adulte moins pétillant, moins chébran , mais qui a le respect des jeunes (aventurier, acteur, présentateur…).
De tous temps les jeunes ont été à la fois programmés pour se révolter et pour être des idéalistes imperturbables; leur intégration dans la société passe nécessairement par ces étapes clés.
Une société saine et durable tire un précieux bénéfice de ces nobles idéaux qui l’incitent à évoluer en douceur, car les jeunes ont eu aussi de tous temps le rôle de poil à gratter de la société. Encore faut-il qu’elle veille à ne pas dévoyer ces aspirations, en ne transformant pas sa jeunesse en un simple segment de consommateurs parmi d’autres, ou pire, en dévoyant ses aspirations fondamentales.
Elle doit donc les aider à devenir des adultes responsables, en veillant à satisfaire tout particulièrement leur désir souvent sincère, de changer le monde. Pour ce faire, un imaginaire positif doit leur être insufflé, à la mesure de leur soif de vivre.
Les entreprises y gagneront des consommateurs matures, et la société des citoyens d’autant plus adultes que leur besoin de rébellion n’aura pas été étouffé ou dévoyé.
© Econovateur-novembre2004 – tous droits réservés – www.econovateur.com
(1) Pour en savoir plus sur les techniques marketing sophistiquées utilisées pour attirer les jeunes et moins jeunes, lire : Hors média : quand la pub avance masquée
(2) Au sujet de la télé réalité, nous ne sommes pas formellement contre ce type d’émission, car elle recèle, par son principe même, des potentialité intéressantes originales d’implication de la jeunesse (exprimées imparfaitement par exemple dans l’émission française Star Academy qui fait comprendre que pour réussir, il faut suer ). Cependant, à notre sens, leur méthode actuelle de réalisation amène au minimum autant d’aspects négatifs que positifs (élection des participants et suivi psychologique très succincts, principe de sélection par élimination, émissions construites et menées dans un but uniquement mercantile, etc.).
(3) En 2003, 90,7 % des jeunes se disent concernés par l’environnement (Etude SIMM 2003 jeunes de Médiamétrie – décembre 2003). Citons aussi les études réalisées par l’agence publicitaire McCann-Erickson et l’UNEP sur la notion de consommation durable pour la jeunesse, 2000 / 2001.
« Le développement durable répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. » Extrait du Rapport Bruntland 1987.